Les hommes qui prennent un congé paternité de 15 jours après la naissance de leur enfant, ou qui simplement envisagent de le faire, sont moins exposés au risque de dépression post-partum que ceux qui ne le prennent pas. C'est ce qui ressort de travaux publiés dans le « Lancet Public Health », menés par l'équipe de Maria Melchior, directrice de recherche Inserm, à partir des données de plus de 10 000 couples hétérosexuels participant à l’étude de cohorte Elfe.
Plus surprenant, l'étude montre aussi que la prise du congé paternité n'est pas associée à une réduction du risque de dépression post-partum chez les mères. Au contraire, celles dont le conjoint décide de prendre un congé paternité sont plus à risque de dépression que celles dont le conjoint continue à travailler. Cet effet paradoxal pourrait s'expliquer par un biais de sélection.
La dépression post-partum de l'homme, un sujet émergent
Maria Melchior, épidémiologiste de la santé, s'intéresse aux trajectoires de santé mentale chez l'enfant et l'adulte. « La santé mentale des parents est un déterminant très important pour celle des enfants, explique-t-elle au « Quotidien ». On dispose de beaucoup de données sur la santé mentale des mères et on commence à avoir de plus en plus de résultats qui montrent que les pères aussi peuvent aller mal. » Les femmes restent les plus explosées : environ 17 % d'entre elles sont susceptibles de développer une dépression contre 10 % de leur conjoint.
Dans l'étude menée par les chercheurs de l'Inserm, les couples ont été interrogés pour savoir si le père avait pris ou projetait de prendre son congé paternité. Les réponses de 13 000 mères et de 11 000 pères français, dont les enfants sont nés en 2011, ont été récupérées. Les auteurs se sont servis de l'échelle d'Édimbourg pour évaluer la dépression postnatale des jeunes parents.
Deux mois après la naissance de leur enfant, plus de 64 % des pères avaient déjà pris un congé paternité, 17 % ont déclaré avoir l'intention d’en prendre un et près de 19 % ne projetaient pas d’en prendre. Des entretiens ont mis en évidence une dépression chez 4,5 % des pères ayant pris un congé paternité et 4,8 % de ceux ayant l’intention de l’utiliser, contre 5,7 % de ceux ne l’ayant pas utilisé. Le congé paternité était donc associé à une baisse de 26 % du risque de dépression post-partum.
Des facteurs socio-économiques à prendre en compte
Chez les mères, c'est une tendance inverse qui est observée : 16,1 % des mères dont le partenaire a pris son congé présentaient une dépression post-partum contre 15,1 % de celles dont le partenaire avait l’intention de prendre le congé et 15,3 % de celles dont le partenaire n’avait pas pris le congé. Pour les auteurs, l’association négative observée chez les mères pourrait suggérer qu’une durée de deux semaines de congé paternité n’est pas suffisante pour prévenir la dépression post-partum des mères.
« Si on teste l'association sans prendre en compte les différentes covariables, on observe un effet protecteur similaire chez les mères et les pères, explique Maria Melchior, mais si on prend en compte les facteurs démographiques socio-économiques, c'est à ce moment que les réactions des hommes et des femmes divergent. » Les auteurs constatent des différences importantes entre les hommes qui prennent leur congé paternité et ceux qui ne peuvent pas les prendre, chez qui les hommes en emploi précaire et les travailleurs indépendants (ces derniers ne sont indemnisés qu'à hauteur de 56 euros par jour) sont surreprésentés.
Ces résultats sont à rapprocher de ceux d'une revue systématique publiée dans le même numéro du « Lancet Public Health », réalisée par trois chercheurs de l'université de Stockholm et portant sur les effets du congé maternité sur la santé mentale des parents. Selon la compilation des résultats de 45 études, menées exclusivement dans des pays à haut revenu, les chercheurs ont constaté que l'allongement de la durée du congé maternité est associé à une amélioration de la santé mentale des mères : diminution des risques de dépression, du sentiment de détresse intense ou du burn-out. En revanche, les chercheurs suédois n'étaient pas parvenus à tirer de conclusions quant à l'effet du congé paternité sur la santé mentale des mères.
Une génération de pères plus impliquée, mais des inégalités demeurent
Au-delà de la question du congé paternité, la répartition inégale du temps alloué à la garde des enfants entre hommes et femmes pourrait être tenue responsable du décalage entre homme et femme en ce qui concerne le lien entre prise de congé parental et risque de dépression. « Les enquêtes réalisées ces dernières années montrent que la nouvelle génération de pères est très impliquée, constate Maria Melchior. Mais les femmes consacrent toujours plus de temps qu'eux aux tâches domestiques - 3 heures par jour contre 2 chez les hommes - et aux enfants - 95 minutes contre 42 -, bien que ces chiffres ne tiennent pas compte des différences d'emploi entre hommes et femmes. » Ces dernières travaillant plus souvent à temps partiel par exemple.
Les chercheurs français n'excluent pas non plus un possible biais de sélection. Ainsi, la préexistence de troubles dépressifs, en dehors d’une autre grossesse chez les mères, n'a pas été systématiquement explorée chez les couples participant à l'étude : il est ainsi possible que les pères dont la compagne est plus à risque de dépression prennent plus volontiers un congé paternité.
L'impact de l'allongement du congé paternité à évaluer
Quoi qu'il en soit, les chercheurs jugent que leurs résultats soulignent l'importance des politiques familiales ciblées sur les pères en matière de santé mentale des parents. De futures recherches devraient ainsi examiner l’impact que la durée et le moment du congé paternité peuvent avoir sur la santé mentale des parents et sur le développement des enfants.
Tous les enfants de la cohorte Elfe sont nés en juillet 2011, donc avant l'entrée en vigueur de l'allongement du congé paternité de 15 à 28 jours, dont 4 sont obligatoires (en cas de grossesse multiple, le congé passe à 32 jours).
Maria Melchior et son équipe envisagent un nouveau protocole de recherche pour évaluer l'impact de cette réforme. « Nous réfléchissons à une étude basée sur les données de la cohorte Constances qui comporte 200 000 membres, avec des enfants nés avant et après juillet 2021. Il nous sera ainsi possible de faire des comparaisons, précise l'épidémiologiste. En revanche, dans cette cohorte, nous ne disposons pas des données précises sur la santé mentale des parents. »
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