LA CRITIQUE du libéralisme est dévastatrice. Les trois auteurs y consacrent un peu plus de la première moitié du livre. C’est un pilonnage documenté contre bon nombre de mythes du libre-échange. Non seulement les économies européenne et américaine se désindustrialisent, mais les peuples des pays émergents censés bénéficier de ce transfert de richesses permanent n’ont pas atteint notre degré de développement et n’y parviendront pas avant longtemps : en adoptant (et en développant) nos techniques de production et de gestion, l’« atelier du monde » (la Chine) ou « la ferme du monde » (le Brésil) se sont certes enrichis mais au prix d’inégalités croissantes au sein même de leurs populations. Si la Chine est devenue, par le produit national brut (PIB), la deuxième puissance mondiale, son revenu per capita est dix fois inférieur à celui des pays dits industrialisés.
LES ALLEMANDS VIVENT MOINS BIEN QUE LES FRANÇAIS
Comme chez nous, le cumul des richesses profite à un très faible pourcentage de personnes, pendant que, au nom de la concurrence, les salariés sont surexploités et sous-payés. Les délocalisations sont des phénomènes à tiroir : des entreprises quittent la Chine, qui devient trop chère, pour aller au Vietnam. Il y aura toujours un pays plus pauvre pour attirer vers lui l’investissement au détriment d’un pays à peine un peu moins pauvre qui sera forcé, tôt ou tard, d’augmenter les salaires et de donner une protection sociale aux salariés. Et ainsi de suite. Pour le moment, il est bien rare que les entreprises reviennent à leur point de départ. Modèles de développement, la Chine, l’Inde et le Brésil en prennent pour leur grade.
Critique de l’Allemagne.
La culture économique des auteurs est indiscutable, de même que leur culture générale puisqu’ils convoquent, pour leur démonstration Kant, Eschyle et Hanna Arendt ou encore Moustaki. Ils s’attaquent en outre à la légende allemande avec une force de conviction qui fait frémir car, si l’Allemagne ne va pas aussi bien qu’on le dit, quel modèle choisir ? Pas celui-là, nous disent-ils : notre voisin d’outre-Rhin ne s’est transformé en machine à exporter qu’au prix d’un lourd sacrifice consenti par les salariés allemands. En 2010, « 7,3 millions d’Allemands occupaient un mini-job à 400 euros par mois et un sur cinq gagnait moins de 6 euros de l’heure ». L’Allemagne est riche de ses énormes excédents commerciaux, mais elle est lourdement endettée et beaucoup de ses citoyens sont pauvres. L’opinion française ne le sait pas assez : malgré les maux pénibles dont nous souffrons, la situation du Français moyen est meilleure que celle de son homologue allemand.
L’ouvrage, loin de réclamer la destruction du libre-échange (et encore moins le démantèlement de l’Europe) propose diverses mesures, parfois modestes, susceptibles d’atténuer la sauvagerie libre-échangiste qui broie nos usines et nos ouvriers. Ils suggèrent l’adoption de la taxe carbone et de la taxe dite Tobin et en font les axes d’une politique économique qui serait à la fois environnementale et sociale. Ils admettent que, pour réintroduire dans les échanges un minimum de protectionnisme, il faudra de laborieuses négociations internationales. Ils posent enfin une question qui en aura taraudé nombre d’entre nous : les salariés sont aussi des consommateurs. Si on continue à licencier, à réduire les salaires, à étrangler le consommateur français, le marché national sera réduit à néant. Pourquoi, au nom du libre-échange, a-t-on abandonné l’idée de Ford, le constructeur automobile américain, qui produisait des automobiles pour que ses ouvriers les achètent ? Si on en est arrivé là, c’est parce que le libre-échange, les délocalisations, la course au prix le plus compétitif sont une fuite en avant. On tire un profit immédiat du système le plus cynique et on avisera quand il ne fonctionnera plus.
Il faut sûrement réformer le commerce mondial, tout en apaisant les craintes de l’Organisation pour le commerce mondial (OMC, ancien GATT) qui œuvre depuis des décennies pour abattre les barrières douanières. Maintenant que, grâce à ce livre, nous prenons conscience de la perversité du libre-échange, veillons à ne pas tomber dans un nationalisme commercial qui serait encore plus délétère.
(1) Inévitable protectionnisme, Franck Dedieu, Benjamin Masse-Stamberger et Adrien de Tricornot, « Le débat », Gallimard, 17,5 euros
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