CES MATINS-LÀ, le Dr Claire Georges, responsable de la consultation Verlaine de l’hôpital Saint-Louis déplace ses dossiers sur le lit collé le long du mur, et rassemble les chaises autour de la table au centre de la pièce exiguë. Spécialistes, membres de la PASS, assistantes sociales, infirmières, psychologues, internes, personnels de direction ... Une douzaine de personnes prennent place. Rapidement chacun y va de sa contribution pour dénouer des situations enchevêtrées. L’éthique de la discussion est le principe même de ces « réunions de concertation pluri-professionnelles médico-sociales et éthiques » (RCPMSE) : Le cas d’un patient y est abordé anonymement sous tous les angles, social, médical, environnemental, relationnel, afin d’envisager, collégialement, dans son intérêt, le soin le plus adapté à sa situation. L’intérêt collectif est aussi envisagé : ou comment le coût d’un traitement, sans être un blocage, doit être pris en considération.
On y discute par exemple le cas proposé par le Dr Damien Pouessel, oncologue médical, d’un patient algérien de 74 ans, atteint d’un cancer du poumon avec métastases cérébrales. Il vient d’arriver en France où il loge chez un de ses fils, sa femme et ses autres enfants sont restés en Algérie. Le seul traitement envisagé à titre palliatif est une radiothérapie des lésions cérébrales. Sous visa touristique, il ne peut pas recevoir d’aide sociale. Les délais de rendez-vous de radiothérapie peuvent atteindre 4 mois en Algérie. Le collège lui propose une radiothérapie ambulatoire permettant un retour en Algérie auprès des siens dans la dignité.
Le Juste choix.
Ce jour de mars, le Dr Raphael Szalat, hématologue, a sollicité la RCP MSE pour réfléchir au cas de Mme M., 56 ans, Camerounaise, qui souffre d’une leucémie à plasmocytes. Elle est arrivée en décembre 2011 à Roissy avec un visa de tourisme. Après un passage aux urgences de Saint-Louis, elle est immédiatement hospitalisée en hématologie deux semaines durant et placée sous chimiothérapie et transfusion. Fonctionnaire, elle bénéficie d’une assurance et d’une mutuelle au Cameroun, qui lui versent dans un premier temps 46 000 euros. Mais très vite, cela ne suffit pas, la patiente ne peut plus payer ses traitements et les frais d’hospitalisation. Elle est donc adressée au dispositif PASS, financé par les enveloppes MIGAC. « Le thalidomide, utilisé dans le cadre d’un traitement ambulatoire, coûte à lui seul 800 euros par mois. La PASS doit-elle le financer ? Il faut bien utiliser nos financements pour ne pas être à court à la fin de l’année et s’assurer qu’ils vont aux plus démunis », prévient le Dr Georges.
L’hématologue livre un avis médical : Mme M. a bien répondu à la première cure de chimiothérapie, mais le traitement doit être poursuivi pour au moins une année avec une phase de consolidation, le risque de rechute n’est pas négligeable. « On lui a dit qu’il s’agirait au mieux d’une rémission, pas de guérison. Mais elle a l’impression qu’on veut la faire sortir de l’hôpital », explique le Dr Raphael Szalat. On s’interroge sur son hébergement : elle loge temporairement chez une proche à 250 km de Paris. « C’est elle qui doit prendre la décision de revenir au Cameroun ou de rester en France : nous n’imposons rien. Mais la question de la honte ne doit pas être négligée : c’est dur de revenir sans être guéri. Mais ce peut être encore plus cruel de mourir seul à l’étranger », souligne Claire Georges. Selon l’assistante sociale, elle n’est pas éligible à l’aide médicale d’État. En prenant en compte les contraintes financières, il a été décidé d’opter sur le plan hématologique pour un traitement ambulatoire per os dont l’efficacité est connue. Le pharmacien chiffre le coût d’un traitement pour 3 mois, pendant que l’hématologue de Saint-Louis prend contact avec son confrère à Douala. Le Dr Szalat a eu des nouvelles récentes de la patiente : elle est toujours en rémission partielle près d’un an plus tard.
Une grille d’analyse multidimensionnelle, en cours d’élaboration avec une anthropologue dans le cadre d’une étude de la Ligue Nationale Contre le Cancer et de la Fédération Hospitalière de France, sert parfois de support à la réflexion dans les RCPMSE. Son principe : décomposer la complexité grâce à des items médicaux et extra-médicaux. Elle est particulièrement utile dans des cas présentant une accumulation de vulnérabilités. M. N. est Roumain, 42 ans, en France depuis 6 mois, où il vit dans la rue de mendicité. Il souffre d’un cancer du rectum, soigné l’an passé en Roumanie mais avec une récidive métastatique pulmonaire multiple. Dans ces conditions, ni une chimiothérapie systémique ni une monochimiothérapie orale répondraient à l’aphorisme hippocratique « Être utile et ne pas nuire ». Les risques seraient plus grands que le bénéfice attendu. La grille conforte les professionnels dans leur sentiment d’avoir envisagé la décision adaptée pour ce patient.
Souci de l’autre et intérêt général.
Ces RCPMSE, en ouvrant un espace de dialogue, plaident en faveur d’une pratique médicale décloisonnée qui s’interroge sur elle-même. Tous les acteurs débattent avec, en tête, la notion de responsabilité collective : « Comment concilier la solidarité et un système financièrement contraint ? », questionne le Dr Claire Georges. Car face un cas douloureux, il est parfois difficile mais indispensable de penser la perte de chance qu’il pourrait y avoir pour les autres patients, « tiers invisibles » de la relation de soin, selon la responsable de la PASS.
Ces réunions permettent enfin aux médecins de partager des situations parfois éprouvantes et de rompre leur isolement. Une hématologue raconte ainsi qu’elle est victime de pressions de la part d’un jeune patient, venu en France pour traiter une hémopathie chronique, mais qui avait accès aux traitements dans son pays. Il demande un rendez-vous sous 10 jours alors que sa santé ne l’exige pas et que le planning de consultation de la spécialiste déborde. Chaque professionnel lui apporte son soutien. « Nous sommes tous dans des démarches généreuses. Toutefois, le champ de notre action est délimité par des règles de droit que nous nous devons de respecter. Faute de quoi le risque existe de générer des discriminations à rebours », conclut Jean Poitou, pharmacien.
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