Las d'attendre le rapport d'évaluation de la loi de 2016 sur la prostitution, qui vient à peine de paraître (avec deux ans de retard), une douzaine d'associations communautaires et de santé* livre leur analyse. Cinglante.
Ancré dans « la réalité vécue par les personnes concernées et les associations qui les accompagnent », le rapport publié ce 6 juillet est une charge contre un texte qu'elles n'ont eu de cesse de combattre, dès 2014. En vilipendant l'idéologie qui l'inspire, d'abord : c'est « une loi pensée avant tout par les abolitionnistes de la prostitution pour les abolitionnistes de la prostitution. Les travailleuses et travailleurs du sexe sont les grandes et grands oublié-e-s de la loi », lit-on en introduction. Ensuite, en dénonçant par le menu les conséquences délétères qu'elle a sur l'état de santé des travailleurs du sexe (TDS).
Dégradation globale de l'état de santé
Le travail du sexe n'est pas en soi un facteur de risque de transmission du VIH, rappellent les associations (sur la base des travaux du Conseil national du sida, de la HAS, ou encore de l'ONUSIDA). Le facteur déterminant d'une prise de risque et d'une dégradation de la santé se situe davantage dans les conditions d'exercice précaires, isolées et violentes.
C'est ainsi que la pénalisation du racolage introduite par la loi de 2016 met en danger les travailleurs du sexe et les éloigne d'un accès aux soins. Une enquête publiée en 2018 par la chercheuse Hélène Le Bail (Sciences Po-CERI, CNRS) et le sociologue Calogero Giametta montre que près de 40 % des prostitué-e-s peinent à imposer le port d'un préservatif. La précarisation (78 % d'entre eux constatent une baisse de leurs revenus) et la pénalisation les rendant plus mobiles et isolés, les TDS ont moins accès aux dispositifs de prévention, voire aux traitements, et échappent au travail de sensibilisation des associations, rappelle le rapport.
Les effets sont tangibles. Selon les chiffres du COREVIH Ile-de-France Nord, les dépistages positifs au VIH ont montré une forte hausse du nombre de personnes trans parmi les nouveaux cas de séropositivité. Les nouvellement dépisté-e-s trans représentaient 0,1 % en 2015, 0,3 % en 2016, et 7,4 % en 2017.
De son côté, la Haute Autorité de santé en 2016 a fait état d’une surexposition avérée des TDS aux infections sexuellement transmissibles (IST), telles que les chlamydia (deux fois plus de risque que les femmes de la population générale), gonocoques, papillomavirus (HPV) et à certains troubles uro-gynécologiques (vaginose, candidose, inflammation pelvienne).
Des violences plus fréquentes et plus intenses
Outre le stress, les angoisses et les problèmes psychosomatiques rapportés par les TDS depuis 2016, les auteurs associatifs du rapport dénoncent une augmentation de la fréquence et de l'intensité des violences, qu'ils analysent comme un effet pervers et contre-productif de la pénalisation des clients.
Ainsi, entre le 1er janvier 2020 et le 31 mars 2020, sur le site d’alerte et d’information du programme Jasmine de Médecins du Monde, pas moins de 206 faits de violence ont été signalés, dont 62 criminels (viol, braquage avec arme notamment).
Le rapport signale aussi que huit travailleuses du sexe ont été assassinées en 2019, et deux, depuis le début de 2020. « Ces assassinats ne sont malheureusement que la partie émergée de l’iceberg en termes d’aggravation de l’intensité des violences. Nos structures constatent plus de viols ou de vols accompagnés de coups et blessures, souvent graves », lit-on.
Un parcours de sortie emblème du contrôle social
Les acteurs associatifs brocardent le parcours de sortie de la prostitution, prévu dans la loi de 2016, « emblème de l’approche moralisante et répressive de la France en matière de travail du sexe (...), pensé avant tout pour asseoir une idéologie plutôt que d’aider véritablement des personnes ».
Ils contestent avant tout la logique de « chantage » qui soumet l'entrée dans le dispositif, à un arrêt net de la prostitution. Puis dénoncent l'insuffisance des moyens accordées aux bénéficiaires : une allocation financière à l’insertion sociale et professionnelle (AFIS) de 330 €, l'obtention d'une autorisation provisoire de séjour (APS) de seulement 6 mois renouvelables le temps de la durée du parcours de sortie qui ne peut excéder 2 ans, rendant difficile l’accès à certains droits, ou encore des conditions d'agrément pour les associations accompagnantes, qui excluent la plupart des associations communautaires, dont les subventions publiques ne cessent par ailleurs de se réduire.
Enfin, le rapport dénonce l'incapacité de la loi de 2016 à protéger les victimes de la traite, ou encore les étudiants et les mineurs.
Abolir le paradigme abolitionniste
En conclusion, les acteurs associatifs demandent l'abandon de la politique abolitionniste et la réforme du cadre légal, vers la décriminalisation du travail du sexe.
En matière de santé, ils plaident pour l'application du droit commun, c'est-à-dire l'accès à une couverture santé pour tou·te·s, ainsi que pour un soutien financier aux approches de réduction des risques communautaires. Et redisent l'importance de lutter contre toutes les discriminations et stigmatisation.
* ACCEPTESS-T · AIDES · ARCAT · Autres Regards · Bus des femmes · Cabiria Collectif des femmes de Strasbourg Saint-Denis · Fédération Parapluie Rouge Grisélidis · Médecins du Monde · Paloma · Les Roses d'acier · STRASS
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation