L’invitation de l’Ordre des médecins
L’Ordre national des médecins a demandé à l’Ordre de Paris, que préside Irène Kahn-Bensaude, « d’entendre les médecins cités dans l’affaire Bettencourt, afin d’obtenir des éclaircissements ». Le Pr Brücker devait être reçu hier.
GILLES BRÜCKER - La lettre d’Irène Kahn-Bensaude ne concerne que moi alors que nous avons été mis en cause tous les deux. Ce n’est pas une convocation mais une invitation à venir informer le Conseil départemental de l’Ordre. Il me semble normal que nous allions éclairer l’Ordre et expliquer ce que nous faisons. Ce que je trouve anormal, et inacceptable, c’est que l’Ordre a cru devoir se répandre dans les médias et se faire l’écho d’une campagne de calomnie et de médisance qui met en cause la probité et la moralité de médecins engagés au service des populations, au service du système public.
Christine Katlama - Je ne comprends pas que l’Ordre n’ait pas pris la peine de se procurer nos numéros de téléphone et de nous appeler. J’étais à Paris au mois d’août et suis en contact tous les jours avec mon secrétariat. Le 27 août, j’étais dans l’Ardèche, déconnectée de tout. Et j’apprends que des flashs sont diffusés toutes les demi-heures nous mettant en cause, comme si nous étions des malfaiteurs à rechercher. C’est violent et dévastateur.
G. B. - J’étais en mission à Haïti. C’est là que j’ai été informé des déclarations diffusées dans la presse. Le décalage entre l’orchestration médiatique faite, selon nous, à dessein, pour des intérêts particuliers, et la lettre est considérable. Il y a tout de même une volonté de laisser apparaître dans l’opinion que nous pourrions être traînés devant les instances disciplinaires. Ce n’est pas acceptable dans le cadre du respect qui me semble dû aux médecins que nous sommes.
Ch. K. - Il y a une volonté de nuire. J’ai été calomniée et finalement je ne reçois aucune demande de l’Ordre. J’ai d’ailleurs moi-même adressé un courrier au président, Michel Legmann.
Leur rôle de médecins auprès de Liliane Bettencourt
Gilles Brücker est accusé d’avoir utilisé sa position de médecin auprès de Mme Bettencourt, 87 ans, et d’avoir écarté certains de ses praticiens.
G. B. - Nous sommes accusés, ou plutôt je suis accusé, d’utiliser une position de médecin traitant ou de médecin soignant pour bénéficier de financements et d’avantages personnels. Tout ceci est absolument faux. Mme Bettencourt n’est pas ma patiente et je ne suis pas son médecin traitant. Je ne m’occupe pas de sa prise en charge médicale, elle a ses propres médecins, je ne lui prescris jamais d’actes médicaux et jamais de médicaments. Enfin, je ne reçois jamais d’honoraire. J’ai d’ailleurs refusé d’être son médecin traitant quand elle me l’a demandé. Quant à l’affirmation selon laquelle je serais son médecin-conseil, je trouve l’appellation un peu ambiguë. Je suis, comme Christine Katlama, un ami de Mme Bettencourt. Comme médecin, et comme le font tous les praticiens du monde, je lui prodigue certains conseils ou je l’oriente, en cas de besoin, vers certains spécialistes.
Ch. K. - Un médecin traitant, surtout pour une dame âgée doit avoir une certaine proximité avec sa patiente. Nous n’avons jamais été généralistes. Gille est spécialiste de santé publique et moi spécialiste du VIH à l’hôpital. Évidemment, nous faisons partie de ses proches – il n’y en a pas tant que cela. Nous nous connaissons depuis 15 ans. Nous avons été amenés à la conseiller ou à l’aider parfois à se frayer un chemin à l’hôpital, mais comme nous le faisons pour tous nos proches.
G. B. - Tout médecin a une attention particulière pour son entourage et pour ceux qu’il aime bien. Je suis donc attentif à la situation de Mme Bettencourt et, si elle a besoin d’un conseil, je le lui donne, mais je n’interfère ni dans la prise en charge ni dans les traitements. Je vois comment elle va et comme elle va bien, je n’ai pas à intervenir. J’ai eu dans le passé l’occasion de le faire. La première fois, au milieu des années 1990, quand elle a eu un problème délicat à régler, je l’ai, à sa demande, orienté vers un chirurgien. Je n’ai participé ni à la décision chirurgicale ni au suivi mais Liliane Bettencourt a été très sensible au conseil que je lui avais donné. C’est de là, peut-être, que vient l’image de médecin-conseil. Une autre fois, en 2006, elle a appelé en situation d’urgence. Le problème était aigu et c’est moi qui ai appelé son médecin généraliste pour qu’on fasse le point ensemble et qu’on organise son hospitalisation. Il m’est aussi arrivé de lui prodiguer des conseils par téléphone, parce qu’elle était isolée à l’étranger. Son mari, un peu désemparé, m’a demandé de l’aide. J’ai dû les rassurer car ils avaient peur de choses qui, tout compte fait, étaient bénignes.
G. B. - Il a été dit dans la presse que j’étais intervenu dans l’éviction de certains de ses médecins. Il se trouve, pour des raisons que je n’ai pas à commenter, que la relation de confiance qui a uni à un moment Liliane Bettencourt et son médecin traitant, s’est rompue. Mme Bettencourt n’a plus souhaité poursuivre cette relation. Je dispose d’ailleurs d’un courrier que Mme Bettencourt m’a adressé où elle me fait part de dégradation de leur relation et cela la préoccupait. J’ai pris acte de la rupture mais, je le dis et le redis, je ne suis intervenu dans aucune forme d’éviction. Mme Bettencourt a ensuite souhaité recourir à d’autres médecins. J’ai là encore refusé d’être son médecin traitant.
L’état de santé de Liliane Bettencourt
La fille de Mme Bettencourt, 87 ans, souhaite que sa mère soit mise sous tutelle, estimant qu’elle est en état de vulnérabilité et doit être mise sous protection.
G. B. - Je n’ai pas à commenter publiquement son état de santé. Je n’ai pas à dire si les examens sont bons ou pas bons. Je dispose d’informations comme d’autres médecins en disposent mais le respect de la personne et le respect du secret médical auquel, j’espère, l’Ordre adhère, font que je ne commenterai aucun examen ni aucun résultat. Je dis simplement que, lorsque je la vois au cours de rendez-vous privés, amicaux, qui peuvent être des déjeuners ou des dîners, je trouve qu’elle est très bien, mis à part ses problèmes importants d’audition qui ont été rendus publics et qui obligent à savoir lui parler de façon qu’elle entende. Parfois, des amalgames sont malheureusement faits entre troubles de l’audition et troubles de la compréhension. Bien sûr, à 87 ans, on peut certains jours être un peu fatigué, mais j’espère que nous serons comme elle à son âge. C’est une femme brillante et drôle, qui ne rit plus beaucoup, à cause de des conflits familiaux qui la font souffrir. Elle s’en est beaucoup confiée à nous.
C. K. - Franchement, je la trouve très bien. L’image qu’on en donne est épouvantable.
Leurs rapports avec Liliane Bettencourt
Les médias se sont interrogés sur les liens entre Gilles Brücker et Christine Katlama et Mme Bettencourt.
G. B. - Nous avons des liens profonds d’affection pour une femme admirable. C’est une affection partagée et, quand nous nous voyons, nous parlons de mille choses mais pas spécialement de sa santé. Nous parlons de ses soucis familiaux, de notre famille, pour laquelle elle a beaucoup d’attachement, des questions économiques, qu’elle connaît bien, de questions politiques, du sida en Afrique et de la recherche médicale, qui l’intéresse beaucoup. C’est une femme exceptionnelle. C’est dans ce contexte que s’inscrit notre engagement auprès d’elle, son engagement auprès de nous et le soutien de la Fondation Bettencourt-Schueller.
C. K. - Notre rencontre remonte à un séjour au Maroc il y a quinze ans. Elle connaît vraiment bien nos deux derniers enfants, les autres sont plus grands.
G. B. - Lors du voyage au Maroc où je n’étais pas et où Mme Bettencourt menait son propre voyage, elles se sont rencontrées. C’est là qu’elle a eu l’occasion d’échanger et de sympathiser avec notre fille, Pauline, qui a aujourd’hui 23 ans.
C. K. - Elles sont nées le même jour. Liliane, qui a eu aussi l’occasion de la voir lors de nos deux séjours sur l’île d’Arros, lui a toujours envoyé une carte pour son anniversaire. Et elle lui répondait.
Le cadeau de 500 000 euros
Pauline, la fille de Gilles Brücker et Christine Katlama, a bénéficié de la part de Mme Bettencourt d’un cadeau de 500 000 euros pour l’achat d’un appartement.
G. B. - Mme Bettencourt a beaucoup d’affection pour notre fille. Qu’est-ce qui l’a poussé à le faire ? Ce n’est pas à nous de répondre. C’est elle qui a pris la décision de lui faire ce cadeau et qui en a informé notre fille. Je tiens à préciser que nous n’avons, évidemment - je souligne parce que ce n’est peut-être pas évident pour tout le monde - jamais rien demandé ni pour notre fille ni pour nous-mêmes.
C. K. - Cela fait plusieurs années qu’elle lui proposait un cadeau. Lilliane a un peu « flashé » sur Pauline. N’oubliez pas que c’est une femme qui, malheureusement, n’a pas de petite fille et qui a peu de jeunes autour d’elle. Dans une très jolie lettre, pour ses 21 ans, alors que Pauline était à Science Po, elle lui propose de nouveau en lui disant : « Tu vas entrer dans la vie et je sais que les jeunes aiment leur indépendance ». Nous en avons discuté. Ce n’était pas si facile de dire non. Pauline s’est acheté un appartement et a eu un peu d’argent pour financer ses stages de dernière année de Science Po. Elle vient de passer six mois avec une ONG dans les territoires palestiniens et s’apprête à partir à Genève pour s’occuper de réfugiés. Cela n’a rien de bling bling.
G. B. - Pourquoi Pauline aurait-elle dû refuser ? Y a-t-il conflit d’intérêt ? Je ne suis pas le médecin traitant de Mme Bettencourt. Avec quels arguments aurais-je dû dire à ma fille de ne pas accepter ce cadeau ? Parce que c’est de l’argent sale, de l’argent malhonnête ou un cadeau empoisonné ? Après y avoir réfléchi, j’ai dit à Pauline que je n’avais pas de raison de lui demander de refuser ce cadeau. Elle a un lien particulier avec Mme Bettencourt. Le cadeau n’était pas pour nos enfants mais pour Pauline. Nous avons voulu gérer cette histoire de façon simple. Nous n’imaginions pas qu’elle fasse l’objet ensuite d’une polémique aussi importante.
Deux séjours à l’île d’Arros
Les deux médecins ont séjourné à deux reprises sur l’île d’Arros à l’invitation de Liliane Bettencourt.
G. B. - Quand elle est à d’Arros, elle fait venir des médecins pour s’occuper d’elle. Nous n’y avons jamais eu, ni de près ni de loin, la moindre activité médicale. Nous ne sommes jamais intervenus ni dans le choix des médecins ni dans les décisions médicales. Évidemment, s’il nous était apparu quelque chose de complètement incohérent, nous serions intervenus, car cela aurait été un devoir d’assistance à personne en danger. Ce cas de figure ne s’est jamais présenté.
G. B. - Une certaine presse a eu l’air d’insinuer qu’on y était tout le temps. Nous y avons été invités très souvent mais nous n’avons pu ou voulu y aller que deux fois 4 ou 5 jours en dix ans. Il faut arrêter de nous coller une image de jet-setters sautant dans les avions pour aller aux Seychelles ramasser de l’argent pour des associations troubles dans lesquelles nous nous remplirions les poches. Je pense que cela faisait plaisir à Lilliane Bettencourt et à son mari. Au nom de quoi aurions-nous refusé ? Nos séjours à d’Arros n’ont jamais été l’objet de tractations pour obtenir un avantage quelconque.
Un million d’euros pour l’exécuteur testamentaire
Gilles Brücker a été désigné en 2003 exécuteur testamentaire de Mme Bettencourt, fonction accompagne d’une rémunération d’un million d’euros.
G. B. - Comme je l’ai dit, je connais Mme Bettencourt depuis les années 1990. En 2003, elle m’adresse un courrier, que j’ai évidemment conservé, dans lequel j’apprends qu’elle avait décidé de me nommer exécuteur testamentaire. J’ai été évidemment surpris mais je l’ai pris cela comme la marque de confiance d’une femme déjà dans une situation un peu difficile avec son entourage. J’ai accepté, sans même d’ailleurs avoir une vision tout à fait précise de ce qu’est un exécuteur testamentaire, pour des raisons morales. À aucun moment, il n’a été envisagé, discuté ou annoncé que cela faisait l’objet d’une rétribution. Être choisi pour être un petit peu un garant moral, celui qui veille à ce que les dispositions que la personne disparue a prises soient bien exécutées, cela m’a énormément touché. Je ne voyais pas, et je ne vois pas, en quoi c’est critiquable.
Je n’ai appris que lorsque j’ai été auditionné par la brigade financière qu’il y aurait – j’utilise le conditionnel parce que je n’ai aucune notification officielle – une rémunération. Je ne sais même pas si tout cela existe. Et je n’ai pas jugé digne d’aller demander si c’était bien vrai.
Les rapports avec François-Marie Banier
L’affaire Bettencourt a débuté en décembre 2007 avec la plainte pour abus de faiblesse de la fille de Mme Bettencourt contre le photographe François-Marie Banier, ami de longue date de Gilles Brücker.
G. B. - François-Marie Banier est un ami. C’est un ami d’enfance, un ami de ma famille. Je l’ai perdu de vue pendant de très nombreuses années. Nous nous sommes retrouvés à la fin des années 1980 – c’est le hasard qui l’a voulu – lorsque j’ai été amené à prendre en charge un de ses amis, gravement malade. François-Marie est un artiste plein de créativité qui a, comme un certain nombre d’artistes, envie de bousculer les conventions. J’ai de l’amitié pour lui et du respect pour son travail. Son œuvre photographique, en particulier, montre l’attachement profond qu’il a aux personnes. On le fait passer parfois pour un photographe mondain parce qu’il a eu la possibilité de photographier des personnalités mais son œuvre photographique me touche beaucoup. Les liens qu’il a noué avec Mme Bettencourt appartiennent à leur histoire. Je pense que Mme Bettencourt a trouvé chez lui, des choses qui lui ont plu. Ils ont noué des liens extrêmement forts. C’est leur histoire et je n’ai pas à la commenter.
Je ne ferai pas non plus de commentaires sur la mise en cause de Banier par la fille de Mme Bettencourt. Je sais tout ce que Lilliane Bettencourt m’a dit de la souffrance qu’elle avait de la relation désastreuse avec sa fille, mais ce sont des éléments d’information qu’elle m’a donnés dans le cadre privé d’une relation personnelle. Je sais que c’est parce que nous sommes des amis de François-Marie Banier qu’on cherche à nous atteindre, mais je ne me désolidariserais pas de l’amitié que j’ai pour lui.
Exergue :
Gilles Brücker :
« Mme Bettencourt n’est pas ma patiente »
« Je ne suis intervenu dans aucune forme d’éviction de ses médecins »
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