La fin du conflit chez Total

Inquiétude au sommet

Publié le 24/02/2010
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Crédit photo : AFP

CHRISTINE LAGARDE, ministre de l’Économie, a été contrainte de nier le risque de pénurie d’essence à plusieurs reprises. On la comprend, même si elle a commis un pieux mensonge. La panique s’est déjà emparée des automobilistes qui achètent au-delà de leurs besoins réels et contribuent de la sorte à vider les cuves. Non sans cynisme, les syndicats répètent que le pays sera paralysé dans quelques jours : le chantage fait partie de leur argumentation.

Bénéfices divisés par deux.

La direction de Total, une fois de plus, a cru qu’elle était en droit de traiter la baisse de la consommation d’essence et donc le surcroît de capacité des raffineries, comme un simple problème industriel. Nicolas Sarkozy n’aura pas manqué de signaler au P-DG de Total, Christophe de Margerie, que le pouvoir politique est inévitablement comptable de ce qui se passe au niveau de l’approvisionnement en carburant. Il traite les syndicats avec prudence, mais il sait que Total n’est pas forcément, cette fois, l’entreprise nuisible qu’ont dépeinte, ces dernières années, l’explosion d’AZF à Toulouse et la pollution des océans par ses tankers. Les bénéfices de Total, naguère colossaux, ont été divisés par deux en 2009, à plus de huit milliards d’euros néanmoins. Mais il est vrai que, pour un projet industriel de longue haleine et qui, de surcroît concerne l’énergie, il faut beaucoup d’argent.

LA PÉNURIE EST INACCEPTABLE MAIS TOTAL DOIT ÊTRE LIBRE DE CHOISIR SA STRATÉGIE INDUSTRIELLE

Les syndicats soupçonnent Total de vouloir se désengager d’un certain nombre de métiers, comme la distribution d’essence, ce qui expliquerait qu’une menace pèse non seulement sur la raffinerie de Dunkerque, mais sur les cinq autres que le société possède en France. Alors qu’on est parvenu à faire de l’automobiliste un criminel qui transforme l’air en miasmes mortels, la chute de la consommation d’essence est si rapide et durable que le marché des carburants a perdu de son attrait pour ceux qui y travaillent.

Le gouvernement a obtenu de Total qu’il se montre conciliant avec les salariés, ce qui est diamétralement opposé à la politique industrielle de M. de Margerie, sommé par les politiques de renoncer provisoirement à la fermeture de Dunkerque au nom de la raison d’État. La CGT a compris que la contribution des pouvoirs publics à la satisfaction de ses revendications ne lui permettrait d’obtenir qu’un sursis. C’est pourquoi elle a établi avec Total un rapport de force susceptible de contraindre la direction de la société à conserver pendant longtemps encore ses activités de raffinage. L’enjeu est considérable : Total n’est plus une entreprise qui défend ses intérêts, c’est une institution nationale dont dépend, dans les jours qui viennent, l’aggravation ou non d’un conflit capable de mettre le pays à genoux. Le contexte social est très favorable à la position de la CGT. La crise a entraîné des fermetures d’usines qui ont indigné les Français. Pendant que des automobilistes se ruent vers les stations-service, tous les salariés observent avec angoisse l’érosion constante du tissu industriel et la disparition des emplois. Jusqu’à présent, Total a réussi, grâce à ses avocats, à ses moyens de communication, à la place immense qu’il occupe dans l’économie nationale, à sortir presque indemne des accidents industriels qu’il a provoqués. Cette fois, c’est plus grave : si Total n’a plus la maîtrise absolue de ses choix stratégiques, il risque la contraction et, à terme, la disparition.

Le dilemme du gouvernement.

Cependant, même si Total vendait ses raffineries, on ne voit pas pourquoi une baisse de la consommation d’essence ne pourrait pas être répartie sur toutes les usines, ce qui permettrait d’assurer les emplois à un pourcentage élevé, calqué sur la production vendue. La fermeture de la raffinerie de Dunkerque plongerait la ville et sa région dans une crise sociale encore plus accentuée. Les dirigeants d’une très grande entreprise, qu’elle soit privée ou publique, ne devraient jamais ignorer les responsabilités particulières que leur donne leur gigantisme. Tout n’est pas perdu puisque le gouvernement a obligé Total à tenir une réunion ce mois-ci avec les partenaires sociaux et que le contact n’est pas rompu. Mais la position du gouvernement n’est pas enviable : il ne peut ni accepter la pénurie ni interdire à Total de se protéger contre les aléas d’un avenir incertain.

› RICHARD LISCIA

Le Quotidien du Mdecin

Source : Le Quotidien du Médecin: 8716