Alors que les forces de l'ordre rouvrent les centres de collecte et que les premières bennes réquisitionnées entrent en action, les conséquences sanitaires de l'accumulation de près de 10 000 tonnes de déchets sur les trottoirs parisiens restent difficiles à évaluer.
« Quoi qu'il arrive, cette grève ne peut pas avoir d'impact positif d'un point de vue sanitaire, résume Muriel Vayssier-Taussat, qui dirige le département Santé animale du centre Inrae Val-de-Loire. Ces déchets, dans lesquels les bactéries pathogènes se multiplient, sont ingurgités par les rats et les pigeons puis disséminés via leurs selles qui entrent en contact avec les habitants ou les chiens et les chats domestiques. »
L'ARS Île-de-France, contactée par « Le Quotidien », explique que « les précédentes expériences n’ont pas semblé entraîner d’épidémie ou de danger grave et imminent. » Toutefois, « il reste nécessaire, comme pour toute situation exceptionnelle, de renforcer la surveillance sanitaire compte tenu des atteintes à l’hygiène publique ». L'ARS et Santé publique France affirment avoir accru leur vigilance concernant les « pathologies pertinentes » dans les systèmes de surveillance.
En première place des pathologies à surveiller : la leptospirose, la yersiniose entérique, la maladie de Lyme et le typhus principalement véhiculés par les rats qui festoient de nuit sur les monticules de déchets. L'ARS s'est d'ailleurs rapprochée des laboratoires de la ville de Paris pour mesurer l'évolution des populations de rats en ville. Un autre point de surveillance : les maladies gastro-intestinales, parfois transmissibles à l'homme, que les animaux de compagnie peuvent contracter en allant manger des restes alimentaires dans les poubelles.
Rat des villes, rat des champs
À Paris, comme dans d'autres grands centres urbains français, le principal représentant des rongeurs est le rat brun, ou rat de Norvège (Rattus norvegicus). Cette espèce, large et robuste, a supplanté le rat noir (Rattus rattus, responsable historique des grandes épidémies de peste) dans Paris pour des questions d'habitat. Le rat brun affectionne les entrepôts, les caves et les égouts, quand le rat noir préfère se cacher dans les étables et les granges, les prairies, les digues, les rivières et les ports. On peut véritablement parler de rat des villes et de rat des champs.
Les connaissances sur l'impact sanitaire des populations de rats et le risque de zoonose impliquent des campagnes de piégeage. « Les populations de rats sont très importantes à Paris mais on ne voit que la partie émergée de l’iceberg, précise Muriel Vayssier. Les études sur les rats sont un peu une omerta dans les grandes villes comme Paris qui ont peur d'ouvrir la boîte de pandore. »
Un grand programme de recherche en cours à Paris
Des programmes sont quand même engagés à Lyon et Paris. Depuis 2021, des chercheurs du Muséum d'histoire naturelle, de l'Inra (Lyon) et de VetAgroSup (Lyon) et des chercheurs en génomique en génomique de l’Isyeb mènent un vaste projet de recherche appelé Armaggedon. Ce dernier vise à compléter les connaissances sur la biologie et l'écologie spatiale du rat en ville. Il combine écologie urbaine, génomique, épidémiologie, parasitologie, enquête sociale et médiation scientifique.
En attendant la publication de données (le programme prend fin en septembre 2023), on peut se baser sur les travaux publiés en 2017 par la même unité de recherche dans le parc des Chanteraines (82 hectares) qui se situe sur les communes de Gennevilliers et de Villeneuve-la-Garenne.
La coïnfection est la règle
Au cours de leurs investigations, les chercheurs ont capturé 86 rats. En tout, sept pathogènes dotés d'un potentiel zoonotique ont été retrouvés, avec une forte diversité de Leptospira. « La coïnfection est plus une règle qu'une exception », affirment les auteurs. Les pathogènes retrouvés étaient des Bartonella sp (présentes chez 58,2 % des animaux), des rickettsies (1,2 %), de Leptospira sp (présent dans les reins et transmis par l'urine, 21,3 %), de bacille de Francis (responsable de la tularémie, 4,7 %). Les Leptospira sp présentaient une hétérogénéité génétique « particulièrement frappante », selon les chercheurs, avec cinq génotypes différents, soit plus ce qui avait été observé jusque-là. « Des études supplémentaires seront nécessaires pour évaluer le risque zoonotique réel dans le parc de Chanteraines. » Rappelons que sur les 700 cas de leptospirose par an en France, près de 10 % mènent à un décès.
En revanche, les chercheurs n'ont pas retrouvé la trace d'hantavirus, d'orthopoxvirus, de virus de l'hépatite E, de coronavirus, de Babesia sp (agent responsable de la fièvre du Texas), d'Anaplasma, ou des Borrelia sp. Ces résultats « soulèvent la question du rôle des rats dans l'apparition et le maintien des zoonoses en milieu urbain », affirment les auteurs.
Pour Muriel Vayssier, c'est avant tout le mode de transmission qui doit guider la surveillance. « Les pathologies qui se transmettent par les morsures de rats, sont des événements assez rares, explique-t-elle. En revanche il faut se méfier des bactéries comme les leptospires infectant les reins et transmises par les urines. D'autres comme les bartonelloses peuvent aussi se transmettre à l’homme via des tiques ou des puces. » L'étude n'a trouvé ni puces, ni tiques sur les animaux dans le parc des Chanteraines, mais des mouches et des parasites intestinaux étaient présents de façon quasi systématique. « Le rat est aussi un réservoir de maladies respiratoires, comme le Sars-CoV-2, dont il peut héberger l'apparition de nouveaux variants », poursuit Muriel Vayssier.
Cette étude souligne en outre la difficulté que représente l'élimination des rats bruns. Les données immunologiques font état d'une forte diversité génétique liée à un grand nombre d'échanges entre les différentes populations de rats. En outre, plus de la moitié des rats étaient porteurs d'une mutation Y139F leur conférant une résistance aux anticoagulants utilisés pour les éliminer (interdits dans les parcs et jardins mais utilisés dans les sous-sols). Un peu plus de 47 % des animaux étaient porteurs de résidus de ces produits, indépendamment de leur génotype, ce qui suggère qu'ils y ont été exposés et ont survécu.
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