Les études de cohorte sont sans appel : la prise en compte de la multi-exposition est incontournable dans l'évaluation des risques liés à l'exposome. En témoigne la cohorte Elfe, dans laquelle on retrouvait au moins 43 molécules suspectes différentes dans les cheveux de plus de la moitié des 311 femmes des couples mère-enfant.
« Il a été montré dans une cohorte belge que des modèles d'exposition monosubstance sous-estimaient le lien entre exposition au PCB et petit poids à la naissance, comparés aux modèles multisubstances », ajoute Cécile Chevrier, directrice de recherche dans l'équipe « Évaluation des expositions et recherche épidémiologique sur l'environnement, la reproduction et le développement » de l'Institut de recherche en santé environnement et travail (Irset, Inserm/université de Rennes 1/École des hautes études en santé publique EHESP), à l'occasion d'une conférence organisée par la Fondation de l'Académie de médecine.
L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en a donné récemment un autre exemple avec la publication de son avis révisé sur les couches pour enfants : dès qu'un produit chimique considéré comme dangereux (dioxines, furanes, PCB-DL…) atteint le 10e du seuil maximal, une éventuelle source d'exposition ailleurs dans l'environnement doit être recherchée.
Difficultés d'analyse
Les équipes de l'Irset travaillent sur l'évaluation de l'exposition aux contaminants organiques chez l'homme. Pour mesurer l'exposome, ses chercheurs adoptent une approche ciblée, fondée sur la spectrométrie de masse en tandem, et non ciblée, en s'appuyant sur des spectromètres de masse à haute résolution permettant des caractérisations à plus large spectre.
Fabien Mercier, ingénieur de recherche à l'EHESP et membre de l'Irset, est spécialisé dans l'étude ciblée. « Nous produisons des données quantitatives dont les épidémiologistes se saisissent ensuite, explique-t-il au « Quotidien ». Les technologies à large spectre, en revanche, ne sont pas encore arrivées au point où l'on peut s'en servir dans l'évaluation du risque. »
Lors d'un profilage par spectrométrie de masse à haute résolution, « on perçoit environ 10 000 signaux différents, mais faute de pouvoir les annoter automatiquement, nous n'en identifions que 10 % environ », poursuit Arthur David, enseignant chercheur à l'EHESP qui occupe la chaire de recherche sur l'exposome de l'Irset. Son équipe a développé un logiciel pour automatiser la pré-annotation des signaux visibles en chromatographie, mais les données obtenues restent limitées et semi-quantitatives. « L'intelligence artificielle pourrait à terme générer des hypothèses à partir des données massives que l'on produit », précise Arthur David.
Pour réfléchir à ces problématiques, l'Anses et l'Irset ont monté un groupe d'experts multidisciplinaire : le groupe de recherche et d’expertise sur l’exposome ou Greex. « Le concept d'exposome force le décloisonnement des expertises, détaille Arthur David. Des travaux récents ont démontré que le travail de nuit favorisait la survenue de certains types de cancer. On n'intègre encore assez peu les charges humaines et sociales dans l'évaluation du risque individuel ». Au niveau européen, neuf projets ont été financés à hauteur de 106 millions d'euros en 2020 via le European Exposome network.
Comment fixer des normes ?
Maillon suivant : l'Anses qui doit désormais considérer les synergies entre différentes sources de polluants, comme celles de l'exposition radiologique et du tabagisme. Le chantier est immense : « Théoriquement, si l'exposome est un jour totalement acquis on lèvera l'ensemble des incertitudes dans les études d'évaluation de risque… Mais ce jour est, lui aussi, théorique, explique Matthieur Schuler. D'ici là, la notion d'exposome va créer davantage d'incertitude et multiplier par 10 le nombre de rapports ne pouvant conclure fautes de données ».
Une fois les normes d'exposition fixées, un dernier chaînon voit ses arbitrages complexifiés : les politiques. L'exposome est un enjeu de santé publique depuis son inscription dans l'article premier de la loi de modernisation de la santé d'avril 2015, mais sa traduction concrète reste floue.
Un bon exemple est celui du cadmium, métal ubiquitaire cancérigène avéré (groupe 1 selon le CIRC) dont la présence dans les aliments est renforcée par les engrais. « Les algues, qui entrent de plus en plus dans l'alimentation des Français, présentent des niveaux important du cadmium, explique Matthieu Schuler. Mais le crédit toxicologique d'une partie de la population est déjà saturé de cadmium. Comment est-ce que le législateur doit réagir ? En légiférant durement sur les algues qui sont le dernier entrant ? En agissant sur les autres sources et notamment les engrais ? Il faut questionner la marge de manœuvre pour chaque source d'exposition ».
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