Un soir de novembre 2016 : La nuit s'annonce difficile. Il faut absolument être au top ! Tout le discours préparé à l'attention des différentes équipes défile dans sa tête. Clair et pédagogue, déterminé mais bienveillant. Il ne s'agit plus d'endosser un rôle. C'est terminé tout ça ! Sa vie sociale, professionnelle… Sa vie tout court, se joue demain matin. Les heures s'égrènent et la peur, elle aussi, s'invite. Vous savez, une peur diffuse qui vient de très loin et de nulle part. Une peur cérébrale et viscérale. Celle que le regard ou l'attitude de l'autre, provoque.
L'autre. Celui qui est dans la sphère affective, familiale, professionnelle ou sociale. La crainte de l’incompréhension, du rejet, de la déréliction, surgit une nouvelle fois. Les pensées contradictoires se bousculent dans la tête de Marion. Allez courage ! Pas besoin puisqu'il n'y a aucun autre choix ! Plus possible de continuer à faire comme si… Elle va se jeter à l'eau et faire son coming out dans sa sphère pro. Elle a tout préparé. Et le timing, Marion le sait, sera épuisant à tenir. Mais c'est une certitude, les urgences, les sapeurs-pompiers, l'équipe de la consultation de la PASS, celle de la douleur… Tout le monde doit être informé ! Ça prendra bien un mois ! Elle qui, d'habitude, procrastine volontiers, a tout planifié. Demain est un jour nouveau ! Avant le coming out, il y a eu un trop-plein, un stop. La fin du rôle que Bruno s'imposait depuis si longtemps. Un rôle ? Sa vie devenait un jeu de rôle.
Un long cheminement
La transition du Dr Tuduri est le fruit d'un long cheminement. Rien à voir avec un coup de tête ! Marion a eu besoin de temps pour comprendre qui elle était vraiment : une personne qui ne s'identifie pas à son sexe de naissance. « Mon cheminement de trans s'est fait sur presque 30 ans. Moi, je suis passée par absolument toutes les étapes : travesti, transgenre, cisgenre et trans. »
Et ses premières sensations de transidentité remontent à ses 6-8 ans. Enfant, Bruno s'est beaucoup caché pour s'habiller en fille. Il ressent des « troubles » sans savoir à quoi cela correspond. « J’ai commencé à prendre les vêtements de ma mère, ceux de mes compagnes… Puis à en acheter… ». Jeune adulte, ses études de médecine et Internet lui permettent de comprendre ce qu'il vit et de découvrir qu'il n'est pas le seul. Mais même avec l'âge, Bruno se cache, toujours et encore, pour faire vivre Marion. Devenu médecin en 2003, ce grand fan de Harry Potter endosse, vaille que vaille, le moule social. Il rentre dans la binarité de sexe. Et Bruno se marie comme tout le monde. Il devient aussi papa d'un petit garçon en 2005.
Un beau jour, d'octobre 2014 : stop, terminé, basta on arrête tout ! Le Dr Tuduri fait fi du douloureux « hiatus » entre son identité profonde et son enveloppe sociale. Une incessante opposition entre les codes dictés par le sexe de sa naissance et la sensation profonde d'être l'inverse. Marion a (déjà) passé 43 ans dans une enveloppe masculine. Elle n'est plus en mesure de jouer plus longtemps ce rôle de composition, ce rôle d’homme. Enclencher la transition est une nécessité absolue. « Mais il m'a fallu tout ce temps pour dire : ça y est, je suis prête ! Je suis une femme et pas un travesti, ou une personne qui a envie de vivre en étant moitié homme ou moitié femme. C’est vrai, que pour moi, cela a pris du temps ! » reconnaît-elle. Encore faut-il réussir à l'annoncer aux très proches : « C'était compliqué, difficile et douloureux. Notamment avec ma femme à l'époque… C'est d'ailleurs, ce qui a été le plus dur… » La douleur évoquée, reste perceptible.
Être une femme pour être soi
Après cette révélation, le couple ne résiste pas. Mais le médecin enclenche sa transition auprès du Groupe de Recherche, d'Étude et de Traitement des Troubles de l'Identité Sexuelle (GRETTIS) basé à Lyon. Un parcours nécessaire et chronophage. Mais Marion a toujours pris son temps pour aller de l'avant. Brune, nature et plantureuse, la praticienne explique - en se fendant d'un immense et malicieux sourire — avoir fait deux premières, deux terminales et bien sûr, deux premières années de médecine ! Et de rajouter, toujours avec malice : « au lycée, lorsque je disais que j'allais faire médecine, les profs rigolaient… ».
Au fait pourquoi avoir endossé la blouse blanche ? « Pour aider les autres, pour prendre soin » répond sobrement Marion. Car, on a beau chercher, il n'y a pas l'ombre, d'un médecin dans la famille, proche ou lointaine, de celle qui a passé toute son enfance à Layettes (en région Auvergne Rhône-Alpes) et a été soutien de famille. Eh bien, la médecine, Marion en a fait son affaire : d'abord une paire d'années de remplacements, les Urgences de Roanne, et - lorsque le planning le permet - des interventions avec les sapeurs-pompiers. En 2008, elle exerce la médecine générale au sein de la PASS (Permanence d'Accès Aux soins) de l'hôpital de Roanne. Mais dès 2009, elle intègre l'UCSA (Unité de consultations et de soins ambulatoires) de la toute nouvelle prison. En 2017, elle rejoint l’équipe de prise en charge de la douleur chronique du même hôpital. Aujourd'hui, la Dr Tuduri consacre 70 % de son temps médical à sa consultation douleur, et le reste à la PASS. Avec la bonhomie qui est la sienne, Marion précise : « la médecine n'est pas une vocation en soi mais j'adore tout ce que je fais ». Et ça en fait du monde ! C'est face à tout ce monde-là que le Dr Tuduri a fait publiquement son coming out après avoir en amont, informé, la médecine du travail et ses différentes hiérarchies.
« Je tenais à prendre les mesures préventives contre d'éventuelles formes de harcèlement ou atteintes à mon intégrité physique… » souligne-t-elle. C'est tout le contraire qui s'est produit ! Applaudie et encouragée, Marion se remémore avec émotion, les soutiens et particulièrement sa cheffe du centre de la douleur : « Je t'ai prise dans notre équipe pour tes qualités de médecin et non pas pour ton genre ».
Mais le médecin n'a pas changé
S'il y a bien quelque chose qui n'a pas changé avec l'émergence de Marion, c'est son exercice médical ! Elle a pris et les devants et du temps pour parler à chaque patient. D'autant que sa transformation commençait à se voir et les patients de la consultation douleur sont reçus chaque trimestre. À deux cas près, tout s'est très bien passé. Le temps consacré à chacun, sa bienveillante bonhomie (plusieurs fois mentionnée par sa nouvelle compagne et amie de longue date) auront-ils laminé les obstacles ? Car depuis la très récente chirurgie de réassignation sexuelle subie par la médecin, certains de ses patients s'enquièrent de sa santé ! Consciente que, pour elle, tout, ou – presque - s'est déroulé de manière idéale, la médecin fait un constat simple : « Plus les gens me connaissent depuis longtemps, plus il leur est difficile de s'approprier Marion ! Ça va prendre du temps ». C'est tellement vrai que certains amis ou collègues ont utilisé, ou utilisent encore parfois, un petit surnom de transition : « Brunion » ou mieux encore « Taton », l'affectueuse trouvaille de ses neveux !
Exergue : « Mon cheminement s'est fait sur presque 30 ans. Je suis passée par toutes les étapes : travesti, transgenre, cisgenre et trans. »
Compréhension: S'il y a bien quelque chose qui n'a pas changé avec l'émergence de Marion, c'est son exercice médical ! Elle a pris et les devants et du temps pour parler à chaque patient. D'autant que sa transformation commençait à se voir et les patients de la consultation douleur sont reçus chaque trimestre. À deux cas près, tout s'est très bien passé. Certains de ses patients s'enquièrent même de la santé de leur médecin.
Cancer colorectal chez les plus de 70 ans : quels bénéfices à une prise en charge gériatrique en périopératoire ?
Un traitement court de 6 ou 9 mois efficace contre la tuberculose multirésistante
Regret post-vasectomie : la vasovasostomie, une alternative à l’AMP
Vers un plan Maladies rénales ? Le think tank UC2m met en avant le dépistage précoce