La législation française a été considérablement renforcée ces dernières années pour améliorer la transparence des liens d'intérêt dans le monde sanitaire.
La récente loi de santé vient d'ailleurs de compléter le sunshine act à la française. Jusqu'à présent, seuls les avantages octroyés par les laboratoires aux professionnels de santé (prise en charge d’un repas, d’un voyage, etc..) devaient être déclarés sur le site Internet gouvernemental transparence.gouv.fr à partir de dix euros (voir ci-contre). Le dispositif laissait dans l’ombre les conventions signées entre les industriels et les professionnels. Avec son article 178, la loi de santé institue une totale transparence sur ce dernier point, rendant obligatoire la publication de la nature et des montants financiers de ces conventions (un futur décret précisera les modalités pratiques). Saisi par des parlementaires, le Conseil constitutionnel a validé le dispositif le 22 janvier, en dépit des critiques des entreprises du Médicament (LEEM) qui jugeaient que certaines modifications introduites « étaient susceptibles de porter atteinte à la liberté d’entreprendre, au respect de la vie privée », ou encore au secret des affaires.
L’expertise sanitaire, un oiseau rare
Cet épisode est le dernier en date d’un long et contraignant feuilleton législatif visant à renforcer la transparence. Dans la foulée de l’affaire Mediator et du rapport de l’IGAS de janvier 2011, les pouvoirs publics s’étaient penchés sur le statut des experts sanitaires, dont l’activité a été encadrée par la loi Bertrand fin décembre 2011.
Le texte les contraint notamment à publier des déclarations publiques d’intérêt (DPI). Il institue également une charte de l’expertise sanitaire (voir ci-contre).
Problème, les agences se plaignent parfois de la complexité de cette nouvelle législation, et des problèmes qu’elle fait naître dans le choix des experts.
Lors d’une récente table ronde sur les liens d’intérêt organisée par la commission des Affaires sociales du Sénat, plusieurs responsables d’agence ont témoigné de la difficulté à mettre la main sur ce qui ressemble désormais à un oiseau rare.
Pourtant, à en croire le Dr Jean-Sébastien Borde, président du Formindep, légiférer était devenu nécessaire. « Toutes les études montrent que, quel que soit l’avantage reçu, le jugement est biaisé », fait-il valoir. Selon lui, une étude financée par l’industrie « a quatre fois plus de chances d’être positive qu’une étude indépendante ».
Interdit de séjour à l’ANSM
Ces statistiques non sourcées n’empêchent pas le Dr Chantal Belorgey de juger la législation complexe. Directrice des recommandations à l’Institut national du Cancer (INCa), elle appelle de ses vœux un « guide d’interprétation de la loi », jugeant que la notion de conflit d’intérêts « peut être différente d’une agence à l’autre ». Elle regrette que des investigateurs coordonnateurs d’essais cliniques (un lien d’intérêt majeur selon la charte de l’expertise sanitaire) ne puissent dans certains cas être experts pour une agence sanitaire, « alors qu’ils sont souvent mondialement reconnus dans leur domaine ». «Un expert sans lien d'intérêt est un expert sans intérêt», a-t-on coutume d'entendre dans les milieux médicaux. La responsable de l’INCa va plus loin, rappelant que plus l’expertise demandée est « pointue », comme pour une maladie rare, « plus les quelques experts du sujet travaillent déjà avec l’industrie ».
Le Pr Marc Tardieu, directeur de la Fondation Maladies rares, acquiesce : « je suis interdit de séjour à l’ANSM, témoigne-t-il, à cause de mes travaux avec l’industrie ».
«On y arrive quand même»
Interrogée alors qu'elle était toujours à la tête de l’INCa (avant de prendre la présidence de la Haute autorité de Santé), le Pr Agnès Buzyn renchérit. Cette loi était sans doute nécessaire pour des agences telles que l’ANSM ou la HAS, estime-t-elle, mais « son extension jusqu’au-boutiste ailleurs fait qu’on n’y juge plus les liens d’intérêt en termes d’opportunité, mais ex-nihilo ». Le Pr Buzyn décrit un monde de l’expertise « coupé en deux », avec d’un côté des chercheurs non sollicités du fait de la loi, « et qui se sentent mis en cause dans leur indépendance », et de l’autre, « des experts institutionnels sans liens d’intérêt, mais qui ne font pas de recherche ». Elle demande que les procédures de sélection des experts soient amendées.
Tout le monde ne juge pas aussi sévèrement le système actuel. « S’il est difficile de trouver un expert sans conflit, on y arrive quand même », estime Élisabeth Hérail, chef du service de déontologie de l’expertise à l’ANSM. Selon elle, un équilibre a été trouvé à l’Agence du médicament au niveau de l’interprétation de la loi Bertrand. « On ne reviendra pas en arrière, mais il ne faut pas aller plus loin », concède-t-elle.
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