Avec l’augmentation du nombre de greffés potentiels et la baisse du nombre de donneurs d’organes, « la pénurie de greffons ne va aller qu’en s’aggravant », rappelle le Pr Pascal Vouhé, chirurgien cardiaque pédiatrique et membre de l’Académie de médecine. À côté des xénotransplantations, plusieurs approches sont développées pour y pallier.
Dans le domaine des organes artificiels, l’exemple le plus célèbre est le cœur de Carmat, mais la recherche se tourne aussi vers la préservation d’organes, la réhabilitation des greffons non optimaux, l’amélioration des immunosuppresseurs, l’élargissement des critères de prélèvements de greffons (jusqu’à 70 ans notamment) ou encore l’organogenèse.
Optimiser les techniques actuelles
En France, des travaux sont par exemple menés pour optimiser l’allocation des greffons. Le centre d’expertise de la transplantation multiorgane de l’Inserm, le Paris Transplant Group, a ainsi récemment comparé, par des approches algorithmiques, les systèmes d’allocation des greffons aux États-Unis et en France.
Dans une étude publiée dans le « JAMA Internal Medicine »*, les chercheurs ont démontré que 62 % des reins non greffés outre-Atlantique auraient pu être greffés selon les critères d’allocation français et ainsi sauver l’équivalent de 133 années de vie avec un greffon fonctionnel sur une période de 10 ans. « Ces résultats ont permis de modifier les critères d’allocation des greffons aux États-Unis en 2020 », indique le Pr Alexandre Loupy, néphrologue à l’hôpital Necker-Enfants malades et directeur du Paris Transplant Group.
Toujours au sein de ce centre, de nouveaux outils sont mis au point pour la caractérisation du rejet au niveau moléculaire, par une approche associant des données épidémiologiques, cliniques, biologiques, histologiques, immunologiques et moléculaires intégrées dans des algorithmes d’intelligence artificielle. « Nos travaux ont pour objectif d’apporter une nouvelle dimension permettant de comprendre et de sonder la complexité de ces phénomènes de rejet ainsi que la réponse immunitaire associée », explique le Pr Loupy.
Leurs résultats ont déjà permis de définir de nouveaux types de rejets et de modifier à quatre reprises la classification internationale des rejets. « Cette meilleure caractérisation est l'une des clefs majeures pour améliorer la survie des greffons, car malgré les avancées thérapeutiques considérables de ces dernières années, il s’agit de la première cause de perte de greffons », précise le néphrologue.
Une fois l'organe greffé, l’enjeu porte sur l’amélioration de la réponse immunitaire du receveur. À l’heure actuelle, les traitements immunosuppresseurs disponibles, tels que les inhibiteurs de la calcineurine, sont principalement limités par leur néphrotoxicité. De nouveaux anticorps monoclonaux non néphrotoxiques sont développés, à l’image de KPL-404 utilisé pour la transplantation avec un cœur de porc génétiquement modifié à l’université du Maryland.
Développé par l’entreprise américaine Kiniksa Pharmaceuticals, cet anticorps monoclonal (IgG4) expérimental a été conçu « pour inhiber l'interaction CD40-CD154 (CD40 ligand), une voie bien connue pour son rôle essentiel dans la régulation de la prolifération des lymphocytes B, l'activation des lymphocytes T et la production d'anticorps », explique le Pr Loupy. Cette molécule présente d’importantes similitudes avec le bélatacept, un inhibiteur de la co-stimulation lymphocytaire désormais couramment utilisé en pratique clinique pour prévenir la réponse allo-immune en transplantation d’organes solides.
La révolution de l'organogenèse
Autre piste, l’organogenèse connaît des avancées. L’entreprise United Therapeutics met au point une approche par impression 3D pour la transplantation pulmonaire. « En “reprogrammant” des cellules du patient en cellules souches, les chercheurs tentent de créer de nouveaux poumons sur une matrice adéquate », détaille le Pr Loupy, relevant de nombreux obstacles encore à lever. « Où et comment créer cette matrice extracellulaire qui va être colonisée par les cellules souches ? Arrivera-t-on à recréer la complexité et l’hétérogénéité cellulaire des organes ? L’organe obtenu sera-t-il aussi fonctionnel ? », énumère-t-il.
Si elle est prometteuse pour répondre à la crise des greffons, la multiplicité des techniques n’en soulève pas moins des questions éthiques et sociétales, notamment sur la sélection des patients qui pourront en bénéficier. « Ces questions ne peuvent être adressées qu’en adoptant une approche transparente, centrée sur le patient, basée sur des protocoles stricts et nécessitant l’avis de conseil d’experts pour adresser le volet éthique inhérent à ces développements », estime le directeur du Paris Transplant Group.
*O. Aubert et al., JAMA Intern Med, 2019. doi:10.1001/jamainternmed.2019.2322
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