La gestion d’une crise sanitaire dépend tout autant de la pertinence des mesures prises que de la façon de les présenter à la société. Anticipation, cohérence et constance, les bonnes pratiques en la matière ont fait défaut lors de la première vague.
Face à l’impératif d’un changement des comportements dans la lutte contre le Covid-19, la communication constitue « un aspect essentiel de la gestion de la crise sanitaire, souligne le Pr Didier Houssin, ancien directeur général de la santé (DGS) et président du comité d’urgence Covid-19 de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elle ne doit pas se limiter à informer la population mais susciter l’adhésion à un ensemble de mesures ».
L’objectif de la communication lors d’une crise sanitaire vise à un changement rapide des comportements, malgré l’émotion et la peur. « La prise de conscience que chacun joue un rôle dans la transmission, et donc dans le contrôle de l’épidémie, est une urgence vitale », alerte la Dr Sylvie Briand, directrice du département préparation mondiale aux risques infectieux à l’OMS.
Malgré l’enjeu, la communication « a sans doute été un des points les plus faibles des stratégies nationales de réponse à la crise », regrette le Pr Houssin. Dans le cas de la France, la communication a tourné au « fiasco », juge le Pr Yves Buisson, président de la cellule Covid-19 de l’Académie de médecine, citant notamment les discours « contradictoires » sur les masques ou la « cacophonie » sur la réouverture des écoles.
Négligence après le H1N1
Pourtant, « la communication a pris une importance unique comparée aux épidémies du passé », estime le Pr Didier Pittet, infectiologue suisse chargé d’évaluer la gestion de crise, dans un rapport d’étape. Un manque d’anticipation est ainsi pointé par le Pr Didier Houssin : « les critiques formulées suite à la crise de 2009 (H1N1), notamment sur les coûts, ont conduit à négliger et à affaiblir la préparation et notamment en matière de communication. Or, cela ne s’improvise pas ».
Plusieurs conditions se révèlent nécessaires pour une communication efficace en période de crise. Il s’agit d’abord d’être à l’écoute de la population, de comprendre ses interrogations et ses inquiétudes. « Intégrer la communication dans la prise de décisions permet d’orienter et de nuancer le message », rappelle le Pr Houssin.
« On sait sonder la population sur la politique, mais les mécanismes ne sont pas toujours en place pour écouter la population sur les questions de santé, estime la Dr Sylvie Briand. Identifier les thèmes qui intéressent les gens permet de délivrer une information utile : cela n’a pas de sens de renseigner les signes cliniques de la maladie si les gens veulent savoir quand leur enfant va pouvoir aller à l’école ».
Dans un contexte saturé d’informations (« vraies » ou « fausses »), qualifié d’« infodémie » par l’OMS, cet exercice se révèle complexe. L’OMS organise d’ailleurs une grande consultation mondiale fin novembre pour recueillir l’expérience des États sur ce défi. Elle travaille également à la mise en place d’un outil pour produire ce type d’analyse, notamment sur les réseaux sociaux, mais « c’est un travail qui n’est pas encore automatisé et donc très fastidieux », explique la Dr Briand.
La peur n'est efficace qu'à court terme
Un autre enjeu porte sur la nature même du message adressé à la population. « Le risque est de tomber dans les travers de la communication des années 1950 ou 1960, très descendante et paternaliste, avertit Jocelyn Raude, chercheur en psychologie sociale à l’École des hautes études en santé publique (EHESP). Dès les années 1970, les recherches sur la prévention ont montré que l’appel à la peur n’est efficace qu’à court terme ».
Sur le temps long, cette stratégie favorise un mécanisme de défense et des effets contre-productifs, une opposition notamment, alors que les Français ont été extrêmement civiques et disciplinés. « Jouer sur la peur est dangereux, appuie la Dr Sylvie Briand. La réaction suscitée est la fuite et non la solidarité ou la prise de nouvelles attitudes ».
A contrario, le message doit être cohérent et pédagogique. « Les informations divergentes ou accentuer les décès produisent une angoisse dans la population et des clivages dans la société et font prendre le risque qu’une méfiance et même une résistance s’installent, amplifiées par les réseaux sociaux et les mouvements complotistes », souligne le Dr Xavier de Radiguès, épidémiologiste et consultant pour l’OMS. « Les communications quotidiennes de la DGS ne permettaient pas de retenir des informations pratiques, alors qu’elles auraient pu être l’occasion de diffuser des recommandations simples, comme l’aération des espaces clos », ajoute le Pr Yves Buisson.
Du point de vue de Bertrand Parent, professeur de management, communication et crise à l’EHESP, l’enjeu est de sortir du seul registre de la persuasion et d’aller vers une approche de la communication qui prend mieux en compte les situations de forte incertitude. « La précaution intervient lorsqu’on ne sait pas mesurer le risque : il s’agit alors de prévenir l’évènement (éviter qu’il n’arrive), mais aussi de réduire l’incertitude, indique-t-il. Cette approche, ainsi que la production de décision collective, nécessitent de mobiliser l’ensemble des expertises et des sources d’information disponibles, pas seulement l’expertise scientifique ».
La diffusion des messages doit enfin s’appuyer sur des relais qui ont la confiance de la population, et en premier lieu, les professionnels de santé. « La population est anxieuse, perdue au milieu d’avis divergents, et se tourne vers les médecins, le dernier recours, plaide la Dr Sylvie Briand. Les médecins peuvent penser que ce n’est pas leur rôle de rassurer, d’expliquer ou de commenter, mais en période de crise, ils participent à la cohésion de la société : ce sont leur opinion et leur positionnement qui vont éviter la panique ».
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