• L’octroi des AMM entre les mains des experts, mais surtout du ministre
Une commission des autorisations de mise sur le marché existait avant l’agence du médicament. Mais elle disposait de moyens limités. Ceux qui y ont travaillé se remémorent les réunions dans des bureaux exigus, les piles de dossiers dans les couloirs, le sous-effectif. « La commission d’AMM était artisanale et à la bonne franquette. Artisanal ne veut pas dire amateurisme, car c’était scientifiquement bien fait », raconte un évaluateur de l’époque. « Il y avait moins d’experts, moins d’exigences, et les dossiers et études qu’on nous présentait étaient moins poussés », selon ce chef de bureau à la DPHM (Direction de la pharmacie et du médicament).
Un haut responsable de l’époque évoque des AMM mises « aux enchères ». « Tu me donnes une AMM et je rémunère ta campagne électorale ou j’ouvre une usine chez toi, résume-t-il. Cela s’est fait au profit du PS et du RPR. C’était un grand classique, cela se passait ainsi sur tous les marchés : l’automobile, l’eau, l’énergie... L’Agence du médicament, la HAS et le CEPS ont été des instruments de nettoyage et de moralisation ».
Une ancienne de la commission AMM assure que la rigueur scientifique primait au sein de la DPHM. La plupart du temps, le politique suivait l’avis technique. Pas toujours. Cette demande de nouvelle autorisation pour un produit retiré après des cas d’encéphalite aurait pu être utile à faible dose et dans de rares cas selon les experts, elle a été refusée. « Le ministre de la Santé n’a pas voulu prendre ce risque », raconte notre source. Le favoritisme, elle n’en apporte pas la preuve, mais elle ne l’exclut pas : « L’ordre de passage des dossiers, c’était quasiment un loto. Avec nos deux secrétaires, il aurait fallu 40 ans pour rédiger les dossiers validés. »
• La tentation de privilégier l’industrie française
Hier comme aujourd’hui, la défense de l’emploi pèse dans les choix politiques. Un impératif recevable, dès lors qu’il s’accorde avec les impératifs sanitaires. « Certains arbitrages posaient question, considère toutefois ce pharmacologue. Je me rappelle d’un médicament hépatotoxique chez l’animal mis sur le marché en 1991, et retiré en 1993 après des atteintes hépatiques. Le laboratoire était français. Mais peut-être que la toxicité chez l’animal avait été cachée à la DPHM ».
Cette autre source (un évaluateur clinicien de la commission d’AMM de l’époque) se rappelle un dossier bien mince pour un médicament au bénéfice discutable, mais aux couleurs de la France. Les responsables de la commission n’auraient pas hésité longtemps : « Ils m’ont simplement demandé si je pensais que le dossier présenté par le laboratoire était mensonger, expose ce rapporteur de la demande d’AMM. J’ai répondu par la négative. Ce médicament a obtenu son AMM et a fait une belle carrière commerciale ».
En 1991, les laboratoires Sarget prennent un coup sur la tête : leur produit phare est menacé de déremboursement. Un moratoire est négocié avec le ministère. En échange d’un sursis de quelques années, Sarget s’engage à doper sa recherche. Au final il n’amènera rien de neuf dans son « pipe », le médicament sera déremboursé et le laboratoire racheté.
• La fixation des prix du médicament, enjeu très politique
« Là où s’exerçait vraiment le pouvoir politique, c’était sur les prix, relate cette personne en poste au ministère de la Santé au début des années 1980. C’était le jeu des industriels d’aller voir les cabinets, de droite comme de gauche ». « Il y avait un favoritisme visible pour les labos français », se souvient un hospitalo-universitaire. La pression pouvait venir de loin. George Bush père, alors qu’il n’était plus président mais lobbyiste, aurait appelé Chirac pour réclamer un meilleur prix pour un produit Lilly.
À l’époque où Jérôme Cahuzac était conseiller de Claude Évin, de 1988 à 1991, « il y a eu pas mal d’interventions politiques sur le comarketing, ce qui était un moyen d’obtenir un prix plus élevé, expose une source ministérielle. Le prix des médicaments était la chasse gardée de Cahuzac ». « Ces manœuvres avaient lieu depuis bien longtemps, nuance ce proche d’un autre cabinet ministériel. L’entourage de Cahuzac savait sûrement, et c’est sans doute pour cela qu’ont été créés des agences par la suite. Pour que la décision ne soit pas que politique ».
Claude Évin s’inscrit en faux contre ces affirmations. « Ce ne sont que des rumeurs. Mon cabinet avait la réputation d’être extrêmement dur avec l’ensemble des acteurs, dit-il au « Quotidien ». Je n’ai aucune raison de douter du travail rigoureux de mon cabinet et de Jérôme Cahuzac en particulier ». En 1991, Claude Evin a baissé de 20 % le prix de certains médicaments et infligé une taxe de 1,3 milliard de francs à l’industrie.
La fixation du prix d’un anti-inflammatoire, au début des années 2000, montre que le sujet reste une préoccupation politique. Le laboratoire Merck exigeait de la France le prix européen. Un tarif élevé. Opposée au remboursement en l’état, la DGS a réclamé le financement d’une étude post-AMM en contrepartie. Une position délicate à tenir, la pointilleuse FDA n’ayant pas demandé d’étude complémentaire. Martine Aubry a écrit à Lucien Abenhaim pour lui demander les raisons de sa position. La DGS resta ferme. Au final l’étude de cohorte fut lancée, et Merck, quelques années plus tard, retira son médicament lorsque survinrent des morts aux États-Unis.
• L’époque des « usines à roulettes »
Claude Évin l’assure : il n’a passé aucun « deal » avec Fabre en échange d’un bon prix accordé au Maxepa. « La meilleure preuve, c’est qu’il n’y a jamais eu d’usine sur ma circonscription », dit-il. « Cela a fait l’objet d’une négociation pendant un moment, croit pourtant se souvenir une ancienne du ministère. Mais Fabre est implanté dans le Sud Ouest. Le projet n’était pas réaliste ». Ailleurs en France, des usines pharmaceutiques ont fleuri. On les surnommait les « usines à roulettes ». À Riom chez Giscard, à Lyon chez Raymond Barre, à Yssingeaux chez Jacques Barrot, à Nevers chez Pierre Bérégovoy...
• Des campagnes légalement financées par les laboratoires
Il n’était pas le seul, et c’était légal : Claude Évin reconnaît que sa campagne législative de 1993 a été financée par l’industrie pharmaceutique. À quelle hauteur, par quels laboratoires, il ne s’en souvient pas. « Cela fait 20 ans ». Que les règles aient changé depuis lui paraît « préférable ». Celui qui dirige aujourd’hui l’ARS d’Ile-de-France l’assure : cette promesse de financement n’a pas eu d’influence sur son action. « Pendant que j’étais ministre, je n’ai jamais accepté que l’on négocie quoi que ce soit contre des engagements ».
Noël Renaudin a été président du Comité économique des produits de santé (CEPS) depuis sa création en 2001 jusqu’en 2011. Interrogé par « le Quotidien », il parle sans fard de la façon dont étaient fixés dans le passé les prix du médicament. « Avant la création du Comité, la direction de la pharmacie et du médicament ( DPHM) fixait ce qu’on appelait un prix technique, mais le cabinet pouvait fort bien intervenir pour en fixer un autre ! Le plus souvent, c’était pour des raisons industrielles : pour faire venir une usine à tel endroit ou pour donner du travail à un laboratoire français grâce au système du co-marketing [qui permet de déléguer au laboratoire français tout ou partie du développement du médicament] ».
De son côté, Jean-Pierre Cassan a été président du Syndicat patronal de l’industrie pharmaceutique (SNIP) puis du LEEM de 1999 à 2003. Il a été président du laboratoire AstraZeneca jusqu’à cette date. Il réagit aux rumeurs de ventes aux enchères d’AMM : « Je n’ai jamais vu ni entendu ça à l’époque. C’est peut-être vrai, mais quand j’ai vu tout ce qu’on écrivait dans les journaux, je suis tombé des nues ».
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