Par le Dr Fabrice Lakdja et le Pr Gérard Ostermann*
LA MÉDECINE FONDÉE sur les faits ou sur les preuves ou médecine factuelle, tient lieu de règle actuellement pour remettre en question cette discipline qui a prospéré dans un certain désordre et dont le but au moins affiché est de mieux soigner les malades. Les Anglo-Saxons parlent d’Evidence Based Medicine : une véritable révolution de la pensée médicale depuis quelques décennies pour assurer des soins conformes aux données actualisées de la science.
Les décisions diagnostiques ou thérapeutiques que les médecins sont invités à prendre désormais doivent faire l’objet d’une référence à ce concept paradigmatique et nombreux sont-ils à le faire… Et lorsque les résultats rendus publics affirment l’efficacité de telle ou telle méthode en se fondant sur les preuves, celles-ci obligent les thérapeutes à leur application.
Cependant l’épidémie de faux dans les revues de biologie s’accroît d’années en années comme le rapporte une analyse récente publiée dans « Nature ». Cette revue prestigieuse nous informe que 88 % des 53 études historiques sur le cancer publiées dans des revues renommées ne peuvent être reproduites, ce qui sous-entend que les conclusions sont soit imprécises soit potentiellement frauduleuses… Les Madoff de tous poils ont largement fleuri depuis plusieurs années avec des manquements graves à l’éthique, peut-être parce que le système de la science est fondé surtout sur le résultat dans une logique économique de la prime au premier, au vainqueur, et ces récompenses se délivrent sous diverses formes telles les subventions, les postes etc.
Course aux gros titres.
C. Glenn Begley, ancien responsable de la recherche mondiale sur le cancer chez le géant pharmaceutique Amgen et auteur de l’analyse (C. Glenn Begley & Lee M. Ellis Drug development : Raise standards for preclinical cancer research, Nature 483, 531–533, 29 March 2012), a été incapable de retrouver les résultats de 47 des 53 études qu’il a examinées. Il semble que les chercheurs ont tout simplement inventé des découvertes et des gros titres qui attireront l’attention, au lieu de publier ce qu’ils ont réellement constaté, ce qui leur permet d’entretenir un flux régulier de subventions, mais trompe le public.
L’Académie Nationale des Sciences aux États-Unis (Ferric C. Fang, R. Grant Steen, and Arturo Casadevall Misconduct accounts for the majority of retracted scientific publications PNAS 2012 ; published ahead of print October 1, 2012) vient de rendre publique la hausse de la fraude dans les sciences de la vie : plus de 400 articles frauduleux ! Et ces derniers retenus comme crédibles sont utilisés pour éditer des recommandations avec des conséquences considérables pour les prescriptions médicales !
Et l’insuffisance de financement pour la recherche ne devrait plus être un prétexte à ces dérives.
D’ailleurs, notre société consumériste ne cesse de trouver des moyens nouveaux pour augmenter l’espace de marché comme nous l’affirme dans son dernier ouvrage, « La fabrique des malades » (Éditions du Cherche-Midi), le Dr Sauveur Boukris qui dénonce « la médecine marketing » et montre comment certains secteurs médicaux, privés ou publics, jouent sur nos peurs, médicalisent nos vies pour pratiquer davantage d’examens biologiques, de radiographies et pour faire consommer toujours plus de médicaments.
Cela vient justifier le nombre croissant des essais cliniques indispensables. Bien entendu, sur le papier, ceux-ci seront fondés sur une méthodologie idoine mais quid des interprétations qui nécessiteraient davantage de contrôle. Contrôle oui mais par des organismes crédibles et intègres. Même si le conflit d’intérêt n’est pas un obstacle à cette intégrité.
Il nous faut cependant distinguer la fraude scientifique de l’erreur, même si la frontière reste parfois ténue. L’erreur est humaine et fait partie intégrante de la recherche et parfois permet de grands progrès tandis que la fraude est incontestablement condamnable, elle est délibérée et les résultats sont sciemment erronés c’est un crime scientifique !
L’évidence que l’on oppose à l’émotion serait garante de vérité et donc de sécurité… Mais l’évidence est ce qui tombe sous le sens et devient par là absurde…
Alors que faire face à l’humain dans sa complexité ?
Nous pouvons saluer la revue « Prescrire » (février 2013/tome33 n°352) qui a le courage de publier une liste de médicaments à écarter de la prescription au terme d’analyses publiées sur 2 ans en exhortant les autorités sanitaires et politiques à prendre des mesures immédiates pour limiter les remakes des scandales récents.
On pourra toujours nous dire que la médecine n’est pas qu’une science mais un art avec ses pratiques plus ou moins éprouvées, remises en question laissant alors un espace d’incertitude largement (encore trop ?) admis. Car même les philosophes sceptiques (ceux qui cherchent) les plus convaincus qui pratique l’art du doute nous disent à peu près ceci : oui au rêve mais toujours avec vigilance.
Notre inquiétude ira aussi à l’expansion des autres médecines non conventionnelles qui trouveront probablement un alibi à leurs pratiques puisque la recherche dans la médecine académique est sujette à caution : elle n’est pas si fiable, si plausible que cela et plus encore, du fait de ces falsifications nombreuses rendues publiques, elle pourrait être vécue comme vraiment dangereuse.
› Dr FABRICE LAKDJA, ANESTHÉSISTE-RÉANIMATEUR, PSYCHOTHÉRAPEUTE, PRÉSIDENT DU COMITÉ GIRONDE DE LA LIGUE CONTRE LE CANCER ; Pr GÉRARD OSTERMANN, PROFESSEUR DE THÉRAPEUTIQUE, PSYCHOTHÉRAPEUTE UNIVERSITÉ DE BORDEAUX SÉGALEN
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