DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
L’ÉNORME CAMION rempli à ras bord de matériel ramené de Port-au-Prince semble rendre l’âme à chacun des lacets de la large route en terre battue qui s’élève sur les hauteurs de Miragoâne. « Christ pour Paillant, Paillant pour Christ », dit la pancarte à l’entrée de la commune. Les 26 000 habitants du village tentent de survivre tant bien que mal. Et depuis le séisme, c’est pire, même si le département des Nippes au sud d’Haïti a moins souffert que Port-au-Prince. « La population a augmenté d’au moins 10 % », soupire le maire de Paillant, heureux d’accueillir les membres de la mission GAMAH.
Arrivée la veille, l’équipe se prépare à passer sa deuxième nuit haïtienne. Elle a installé son quartier général à la mairie, une bâtisse au confort rustique, sans eau courante (l’électricité ne fonctionnant que la nuit), qui semble presque désaffectée. Les hommes y dorment dans des lits de camp ; les femmes, logées chez l’habitant, se partagent des chambres avec de vrais matelas, mais les conditions de vie sont tout aussi sommaires.
Pour l’heure, nul ne semble s’en formaliser. Ils sont contents d’être là, certains ont dû se décider en 48 heures. Tous sont volontaires et la plupart ont payé le voyage de leur poche. Jean-Marie Bernard, le président de GAMAH, à l’initiative du projet, apprécie. Originaire de Miragoâne, il y a passé son enfance. Comme beaucoup de Haïtiens, il a quitté l’île et a fait ses études de médecine à Montpellier puis à Paris avant d’exercer la chirurgie générale (chirurgie abdominale et traumatologie des membres) dans la Mayenne (Pays de Loire). En 2003, il reprend contact avec l’île et en 2006, il décide, avec d’autres médecins d’origine haïtienne, de fonder une association pour « apporter une aide matérielle et participer au développement de la santé en Haïti ». Deux voyages suivent, en 2007 et 2008, au cours desquels il noue des contacts avec les autorités sanitaires de la région et soutient des campagnes de dépistage du cancer du col et de l’utérus et des programmes de prise en charge des maladies cardio-vasculaires. À 66 ans, à la retraite depuis un an, il entendait se consacrer pleinement à son association.
Les opérations d’urgence ne faisaient pas partie du programme. « Au moment du séisme, j’ai décidé de partir », raconte le Dr Bernard. Les grandes associations ne lui en ont pas offert l’occasion. « Elles ont toutes refusé », regrette-t-il. Il décide alors de s’appuyer sur GAMAH et de faire appel au Dr Jean-Joseph Aubron.
Médecine de terrain.
À 69 ans, ce dernier a une longue expérience des missions en Afrique. « J’ai profité du MICA en 2000, avec l’arrière-pensée de faire autre chose, raconte-t-il. J’avais le souvenir de mes trois années en Algérie après mon service militaire, une de mes plus belles périodes sur le plan médical. » Au Togo, en Mauritanie, au Sénégal, au Bénin, au Tchad et aux Comores, mais aussi au Pérou, il aura l’occasion de renouer avec cette « médecine de terrain ». « Jean-Marie m’avait déjà contacté en 2008 pour GAMAH, mais j’avais décidé d’arrêter afin de profiter de la retraite de ma femme », explique ce militant de l’humanitaire, pour qui « la médecine des pauvres ne doit jamais justifier la pauvreté de la médecine ». Le séisme a tout changé. « Il fallait faire quelque chose », lâche-t-il. Avec le Dr Bernard, ils prennent leur bâton de pèlerin, organisent une réunion à Paris, à la maison d’Haïti**, actionnent leurs réseaux. « J’ai proposé à Jean-Marie qui a accepté, de faire appel aux membres de l’association AGIRabcd (Association générale des intervenants retraités actions de bénévoles pour la coopération et le développement), dont je suis membre depuis 1990 et qui compte 3 000 adhérents, dont 300 dans le domaine de la santé », précise celui que tous appellent « Jean-Jo ». Eux ont l’habitude de partir pour soutenir des structures locales ou en appui d’autres associations. C’est ainsi que feront partie de la première mission Marie-Annick Aubry, infirmière anesthésiste (Lille), Annie Auffret, infirmière (Gard), Brigitte Auger, infirmière et assistante sociale, et Anne-Marie Montassier, infirmière.
Le projet se précise.
La recherche de fonds est difficile. Différentes demandes auprès de la Fondation de France ou du ministère des Affaires étrangères n’aboutissent pas mais l’association parvient, par le biais de manifestations culturelles, à recueillir un modeste pécule pour commencer à fonctionner. « Il nous faudrait environ 88 000 euros, nous sommes loin du compte », reconnaît le Dr Bernard. Qu’à cela ne tienne. Ils ont reçu un appel du directeur de l’hôpital de Miragoâne, le Dr Jacques Laroche, qui sollicite l’aide de GAMAH. Le projet se précise. « Nous étions désormais à distance du séisme. L’idée était de s’inscrire dans la durée avec des équipes qui vont se relayer au moins pendant six mois et vont être disponibles pas seulement pour un établissement mais partout dans le département, là où existent des besoins afin de soutenir les équipes locales », poursuit le président de GAMAH. Cet objectif est plus en rapport avec celui pour lequel l’association a été créée : Instaurer une collaboration durable avec les établissements sanitaires des Nippes en accord avec les autorités sanitaires et politiques locales.
Entre temps, le réseau s’est enrichi. Ils sont désormais une quarantaine à vouloir prendre part à l’aventure. Les premiers devront se décider très vite, dès l’annonce des premiers vols commerciaux à destination de Port-au-Prince. Afin de disposer d’un champ de compétences élargi, deux autres associations, Gynécologie sans frontières et l’ONG MARS (Mouvement d’aide et de ressources solidaires), soutenue par la fondation d’entreprise RATP et spécialisée dans la potabilisation de l’eau et l’électricité, vont prêter main-forte. Le 28 février, ils seront 14 à se retrouver à Orly. Malgré la tempête qui s’est abattue sur la France, aucune défection ne sera à déplorer. Le collectif est fin prêt avec ses deux chirurgiens, le Dr Bernard et le Dr Yves Chouteau, orthopédiste, ses trois praticiens de médecine générale, le Dr Aubron, les Drs Françoise Darnaudet et Christian Grégoire, son gynécologue-obstétricien, le Dr Michel Vignal, accompagné d’une sage-femme, Lucile Warrick, tous les deux de GSF, ses 4 infirmières d’AGIR, ses deux techniciens, Stéphane Peignen et René Collet et son logisticien, Bernard Girard, directeur d’hôpital à la retraite depuis un an. Un psychologue les rejoindra plus tard.
Cela commence par une naissance.
Le passage a Port-au-Prince les a ébranlés. Un champ de ruines, des bâtiments éventrés, des amas de gravats et des tentes envahissant le moindre espace laissé libre. « Une horreur, c’est pire que les images vues à la télé », commente Annie Auffret ; « Une visite traumatisante », renchérit le Dr Darnaudet. Généraliste homéopathe installée à Nègrepelisse (Tarn et Garonne), elle a tout de suite cherché à partir. « J’étais prête à y aller toute seule. » Elle répond à l’annonce de l’association GAMAH et n’hésite pas à fermer son cabinet. « Je ne pouvais pas rester dans mon coin en famille. J’ai un métier, je voulais le mettre au service d’Haïti », explique-t-elle simplement. Soigner dans l’urgence, les plaies, les traumatismes physiques et psychiques. Là, dans la capitale, elle a l’impression que les besoins sont immenses et de pouvoir être utile, en dépit de la présence visible de nombreuses ONG.
Beaucoup dans l’équipe partagent ce sentiment que le voyage vers le sud par la route nationale 2, ne fera qu’accentuer. À Carrefour, au sortir de Port-au-Prince, à Gressier ou à Léogâne près de l’épicentre où « pas une maison ne semble avoir été épargnée », fait remarquer Stéphane Peigne, visiblement impressionné. Aux abords de Léogâne, précisément, la chaussée s’est brisée en une large fissure qui file le long de la route sur plusieurs mètres. Les soldats de la MINUSTAH veillent sur le trafic. Grand Goâve, Petit Goâve, au fur et à mesure qu’on s’approche de Miragoâne, les dégâts semblent moins importants, même si des champs de tentes rappellent les nombreux sans-abri et réfugiés.
Les premiers contacts dans le dispensaire de Paillant et à l’hôpital Sainte-Thérèse (Miragoâne), pourtant bourrée de malades, ont semé des doutes. « Ont-ils besoin de nous, les gens manquent de tout mais semblent organisés » ? La question traverse les esprits. Yves Chanteau, l’orthopédiste, spécialiste de la traumatologie lourde, pensait avoir à prendre en charge les complications secondaires de la chirurgie d’urgence (surinfections des plaies, reprises de moignons) marque sa déception : « Pour l’heure, il n’y a rien de tout cela. »
Demain, il fera l’inventaire du matériel chirurgical disponible à l’hôpital. Mais ce soir, c’est relâche à Paillant, deux anniversaires à célébrer, dont le sien. À 70 ans, Le Dr Chanteau a encore de la ressource. Depuis sa retraite en 2005, après une longue carrière internationale au Gabon (1989-1995) et à Madagascar (1995-2000), il continue à assurer des missions de soutien, notamment au Bénin, à l’hôpital Saint Jean de Dieu, où il a croisé la route de « Jean Jo ». D’où sa présence à Paillant et les verres levés vers lui et son frère du jour, le Dr Michel Vignal. En plus de son soixantième anniversaire, il arrose la naissance aujourd’hui de son premier bébé haïtien accouché par césarienne. Une fille bien entendu, car, ironise-il, « j’ai la réputation de n’accoucher que des filles ». Lucile, la sage-femme qui exerce comme lui au centre hospitalier de Grâce acquiesce. L’ambiance est détendue, la bouteille de « Barbancourt » acheté à la va-vite dans l’épicerie du coin y est sans doute pour quelque chose. Tous attendent de découvrir leur première intervention prévue le lendemain.
* GAMAH, 06.82.08.32.08
** 94 Rue Jean-Pierre Timbaud, 75011 Paris, 09.61.29.96.33.
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