ALORS QUE LE MARCHÉ des médicaments stagne en Occident, les dispositifs médicaux (DM) pourraient dessiner un avenir plus riant pour l’innovation. En Europe, un brevet est déposé toutes les 38 minutes, soit, à la fin de l’année 2012, plus de 10 000 brevets. En France, le marché des équipements médicaux avoisine les 23 milliards d’euros, celui des dispositifs thérapeutiques remboursés par l’assurance-maladie affiche 8,3 milliards d’euros. Plus de 3 000 DM sont commercialisés chaque année dans l’hexagone. Un millier de PME emploient 65 000 personnes.
Pourtant la France est « à bout de souffle », selon le centre d’analyse stratégique (CAS), qui a rendu un cinglant rapport sur le sujet début 2013. Un paradoxe intolérable pour les patients et l’emploi, selon la députée (PS) Martine Pinville qui, pour mieux le comprendre et le contourner, a réuni une dizaine d’acteurs du secteur ce printemps à l’Assemblée nationale.
De l’idée à la recherche.
« Quand un praticien a une idée, comment peut-il la transformer en processus industriel ? » interroge Jacques Le Pape, inspecteur général des finances, auteur du rapport du CAS. C’est en effet dès cette première étape que le bât blesse : les rigidités commencent dans la gouvernance des établissements. « Comment un jeune médecin, kiné, infirmier, peut-il développer une idée qui germe sur le terrain ? Il ne pense pas à aller voir l’INSERM pour adapter de petites orthèses. Même son chef de service ne comprend pas toujours la subtilité des rouages de la haute autorité de santé (HAS) », assure, réaliste, le Dr Jean-Michel Dubernard, président de la commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et de technologies de santé (CNEDiMTS) de la HAS.
Que faire ? Mettre en place des plateformes d’innovation locales pour les praticiens chercheurs, proposent les experts. « Ils pourraient aussi se tourner vers la banque publique d’investissement pour avoir une dérogation sur le brevet et développer leur start-up » avance Jacques Le Pape.
Lenteurs à la HAS.
Deuxième obstacle : la lenteur réputée de la CNEDiMTS, chargée de l’évaluation des DM, en vue de leur remboursement par l’assurance-maladie - via inscription sur la liste des produits et prestations remboursables (LPPR) ou de leur inscription dans les prestations d’hospitalisation. Cette commission doit analyser les données cliniques fournies par l’industriel pour définir le service médical attendu (SMA) pour une première inscription au remboursement, ou rendu (SMR), pour un renouvellement, avant que le comité économique des produits de santé (CEPS) ne produise une évaluation économique. Les ministères de la Santé et du budget tranchent en dernier ressort. En 2011, le délai moyen pour une première inscription était de 277 jours, contre 180 jours pour le délai maximum réglementaire (85 jours pour la HAS, 90 pour le CEPS).
« Les entreprises ressentent durement cette contrainte, qui les empêche d’accéder aux marchés extérieurs », reconnaît Jacques Le Pape. Mais les torts sont partagés : « certaines PME n’ont pas des dossiers bien ficelés, et ne passent donc pas en priorité devant la CNEDiMTS et il y a un encombrement au niveau du CEPS », poursuit l’inspecteur.
« Nous avons bien pensé à la mise en place d’un réseau d’experts pour aider les entreprises à monter leur dossier. Mais en a-t-on les moyens ? Nous en sommes plutôt restés à la phase de communication et d’information avec des modèles et la clarification de nos avis », reconnaît le Dr Jean-Patrick Sales, directeur délégué à la direction de l’évaluation médicale de la HAS.
Le casse-tête pour créer un acte.
Les choses se compliquent pour les dispositifs médicaux les plus innovants de type III (implantables, in vitro), et certains dispositifs d’imagerie, qui requièrent la création d’un acte médical. Une double inscription au remboursement, du DM et de l’acte, est alors nécessaire. Pour la seconde, la HAS rend un avis, mais c’est l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie (UNCAM) qui décide du remboursement de l’acte, sur la base d’évaluations internes ou issues des sociétés savantes ou du ministère de la santé qui peuvent s’y opposer (contre la HAS) au motif d’un « risque de dépenses injustifiées pour l’assurance-maladie ». La HAS s’engage à rendre à la CNAM un avis dans les 15 jours. Mais la création d’un acte dure en moyenne 581 jours.
Plus pernicieux, « quand le DM n’est pas éligible à la LPPR, on fait miroiter aux industriels que s’ils font inscrire l’acte associé à la CNAM, leur DM sera financé » dénonce le Dr Sales. Or dans ce cas, la HAS n’a aucune d’obligation de délai. « Nous mettons parfois 8 mois, puis il faut que l’UNCAM revalide...Un acte peut être inscrit à la nomenclature au bout de 3 ans et rentrer dans les établissements en 5 ans » reconnaît le Dr Sales.
L’espoir en suspens du forfait innovation.
Pour raccourcir les délais, le législateur a introduit dans la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) de 2009 l’article L165.1.1 du code de la sécurité sociale (complété par la loi Hôpital, patients, santé et territoire) qui ouvre la possibilité d’une dérogation pour la prise en charge partielle ou totale de DM et d’actes innovants par l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie (ONDAM). Le but est d’accélérer l’accès des patients à certains DM prometteurs, alors que les données cliniques ou médicoéconomiques font encore défaut pour un remboursement classique. La prise en charge par l’assurance-maladie est conditionnée à la réalisation de ces études.
Ce forfait innovation a suscité beaucoup d’espoir. « Lorsqu’il est arrivé, il nous a semblé excellent pour accélérer l’accès aux thérapies. Nous avons essayé d’y soumettre notre DM de mesure du glucose en continu » témoigne Arnaud Delhaye, responsable de Medtronic, 2 usines en France employant 600 personnes.Trois ans après, rien ne bouge. Aucun arrêté n’a été publié au Journal officiel, et le processus est toujours en cours pour les 3 dossiers sélectionnés en 2011. « Le 165.1.1. a sûrement un avenir mais pas forcément pour les dossiers tirés du chapeau », reconnaît le Dr Sales.
Le Dr Guillaume Charpentier, chef de service au centre hospitalier sud francilien et président du centre d’étude et d’intensification du traitement du diabète (CERITD), croit aussi en la pertinence du statut dérogatoire. « Les payeurs ont peur qu’une exception devienne pérenne. Mais dans certains cas, cette dérogation est très utile surtout pour les petites entreprises qui peuvent ainsi financer des études en vie réelle alors que l’État paie le DM au prix où il serait remboursé », explique-t-il. Les premières décisions devraient (enfin) intervenir en septembre, a promis Yannick Le Guen, de la Direction générale de l’Offre de Santé.
En attendant, le Dr Charpentier refuse de sombrer dans le pessimisme. En diabétologie, l’innovation ne faiblit pas. Les équipes françaises sont en bonne place dans la compétition mondiale pour créer un pancréas artificiel. Par ailleurs, le CERITD a conçu, avec la participation de l’éditeur de logiciel Voluntis et Sanofi, Diabéo, un système de télémédecine pour le suivi de la glycémie, actuellement en essai clinique auprès de 700 patients.
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