Une étude parue dans « Science » et menée par des chercheurs néerlandais, californiens et italiens vient de montrer de nombreux effets « hors cibles » (« off-targets ») de BIA 10-2474. Cette molécule, développée par le laboratoire portugais Bial et utilisée lors de l’essai clinique mené par le promoteur rennais Biotrial, avait coûté la vie d’un des sujets de l’étude et entraîné des effets neurologiques graves chez quatre autres d’entre eux en janvier 2016.
Les auteurs ont cherché à déterminer l'effet « hors cible » de BIA 10-2474, c’est-à-dire sa non-sélectivité et donc sa capacité à interagir avec d’autres protéines que sa cible initiale, FAAH. Ce choix s’est basé sur le fait que « peu ou pas d’information était disponible concernant le profil d’interaction protéique de BIA 10-2474 ».
Des protéines « hors cibles » exprimées dans le tissu cérébral
Les auteurs ont utilisé des cellules et des tissus humains de donneurs décédés (non impliqués dans l’essai Bial/Biotrial), et cherché les protéines avec lesquelles BIA 10-2474 interagissait, en les comparant avec un autre inhibiteur de FAAH, déjà testé en phases cliniques I et II, PF04457845.
Ils ont constaté que BIA 10-2474 était moins sélectif que PF04457845. Si, à des concentrations faibles, les deux molécules montrent une bonne sélectivité pour FAAH, ce n’est plus le cas à des concentrations élevées. Alors, PF04457845 interagissait avec une seule autre protéine « hors cible » (FAAH2), mais BIA 10-2474 interagissait en plus avec des lipases telles que ABHD6, ABHD11, LIPE et PNPLA6, ou encore avec des enzymes métabolisant les molécules xénobiotiques CES1, CES2, et CES3. Certaines de ces protéines « hors cibles » (ABHD6 et CES2) étaient alors presque complètement inhibées (à plus de 90 %).
Or, plusieurs de ces protéines « hors cibles » sont impliquées dans le métabolisme cellulaire lipidique et la plupart sont largement exprimées dans le tissu cérébral humain, soulignent les auteurs, ce qui augmente la possibilité de perturbation des réseaux lipidiques cellulaires et pourrait avoir contribué à la neurotoxicité du composé. BIA 10-2474 (contrairement à PF04457845) entraîne d’ailleurs des altérations substantielles dans le métabolisme lipidique des neurones en culture.
Des résultats qui ne suffisent pas…
Les auteurs soulignent qu’en dépit de ces informations importantes sur la non-sélectivité de BIA 10-2474, leur étude ne permet pas de conclure que ce sont les effets « hors cibles » de cette molécule qui ont occasionné la neurotoxicité observée. Il n’est pas possible d’exclure que les interactions de BIA 10-2474 avec d’autres protéines peuvent avoir contribué à ces effets cliniques, ajoutent-ils.
…mais qui aurait dû être recherchés avant l’essai clinique
« Mais cette étude met en évidence l’utilité de la méthode employée ici pour évaluer l’activité "hors cible" d’un candidat médicament et guider son développement thérapeutique », concluent-ils.
Le Pr Mario van der Stelt, biochimiste à l’université de Leiden aux Pays-Bas et coauteur de l’étude indique même au « Quotidien » que « cette méthode aurait pu être utilisée avant l’essai clinique. Le laboratoire Pfizer (qui a développé PF04457845, N.D.L.R.) l’a d’ailleurs employée pour sélectionner leur candidat médicament. » Il ajoute que cette méthode devrait être utilisée systématiquement lors du développement des inhibiteurs enzymatiques irréversibles (tels que BIA 10-2474, N.D.L.R.). Pour déterminer définitivement la cause de la neurotoxicité observée dans l’essai Bial/Biotrial, il faudrait étudier le tissu cérébral des sujets touchés, pour voir « si ces protéines hors cibles identifiées ont été inhibées dans le tissu cérébral du patient », indique le Pr van der Stelt. « Cependant, nous ne savons pas si ces échantillons biologiques seraient toujours en condition optimale pour être utilisés dans ce genre d’expérimentation. »
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