ELLES SONT souvent prises pour des menteuses, des folles ou au mieux des simplettes. Responsables ou victimes ? La question se pose quand elle ne devrait pas. Les tribunaux ignorent le déni de grossesse, les professionnels de santé n’en savent pas beaucoup plus. Pas une ligne n’est consacrée à cette « maladie » (puisque le déni est considéré comme tel, sans pour autant figurer au DSM4 – Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) dans les cours de médecine. Généralement montrés du doigt, les cas de dénis de grossesse sont connus du grand public lorsqu’ils apparaissent dans les médias sous leur forme la plus dramatique ou sensationnelle. La plupart du temps, leur issue est heureuse.
Paradoxe.
On comprend bien que ce phénomène reste un objet de curiosité tant il est incompréhensible. Enceintes, les femmes qui en sont victimes continuent d’avoir leurs règles, ou du moins des saignements qu’elles assimilent aux règles, elles ne prennent pas de poids voire en perdent. L’utérus se développe en hauteur parallèlement à la colonne vertébrale et le ftus se place sous les côtes de sa mère. Tout le monde est trompé. Jenifer, 18 ans, se présente à l’hôpital pour une crise d’appendicite. Elle y accouche d’un bébé de 3 k en position de siège. Elle rentre de deux semaines de vacances sur une plage naturiste de Croatie. Personne ne s’est rendu compte de rien.
On ignore encore les raisons qui font que la mère « n’entend » pas les signaux du bébé… à moins que ce ne soit le bébé qui reste « silencieux ». « Plusieurs hypothèses sont discutées, avance humblement le Dr Félix Navarro, président de l’AFRDG (Association française pour la reconnaissance du déni de grossesse). On suppose qu’il s’agit d’un mécanisme de défense de la mère. Une raison, très profonde, ferait que pour elle, cette naissance est insupportable, impossible. Tout comme le déni de patients qui développent des maladies comme le cancer, le déni de grossesse permet de faire disparaître la réalité. Et pourtant des dénis surviennent dans des couples qui tentent des FIV depuis des années, qui ont préparé la chambre du bébé… Bref, des personnes qui expriment clairement leur désir d’enfant. C’est paradoxal. »
Il a été démontré que le déni de grossesse est une situation de risque pour la mère comme pour l’enfant (voir encadré). De 5 à 10 % des grossesses déniées ne sont pas suivies d’une naissance et le décès se produit essentiellement in utero. C’est assez logique, du fait de l’absence de surveillance médicale de la grossesse et des circonstances de la naissance. Pour autant, la très grande majorité des enfants du déni naissent vivants, en bonne santé et sont élevés par leurs parents. « Surtout lorsque cela arrive un peu tard dans la vie d’un couple, qui a déjà des enfants d’une quinzaine d’années. Le bébé sera vécu comme le dernier grand cadeau de la vie », ajoute le Dr Navarro.
Incompréhension.
Cependant ces femmes, mères « improvisées », doivent affronter plusieurs difficultés après la naissance du bébé, à commencer par leur propre sentiment d’incompréhension vis-à-vis d’elles-mêmes, d’étrangeté, de dépersonnalisation. Un sentiment de culpabilité aussi : « Certaines n’ont pas arrêté de fumer, ni de boire pendant leur grossesse ignorée. Elles ont pu s’adonner à des activités sportives très physiques. Alors dès qu’il arrive le moindre problème médical à l’enfant, elles en reportent la faute sur leur insouciance ». Frustration aussi, de ne pas avoir donné tout l’amour à leur enfant à venir pendant les neuf mois d’attente, comme elles l’ont fait pour les enfants précédents. Ces femmes doivent aussi supporter le regard des autres : celui de leur conjoint, qui voit parfois le déni de leur épouse comme une trahison ; ceux des autres enfants, qui « un beau matin partent à l’école et se retrouvent le soir avec un petit frère ou une petite sur », des beaux-parents, avec lesquels les relations, pour peu qu’elles soient déjà tendues, se compliquent encore. Il faut gérer la réaction de l’entourage professionnel enfin. « Appeler son patron pour solliciter un congé maternité et savoir lui répondre "Tout de suite" à la question "Quand ?" ».
Sans compter avec le poids des idées reçues, notamment quant aux motivations du déni : suspicion d’adultère, d’inceste. « Les familles ont très souvent recours au test ADN dans un besoin de mettre du faux rationnel derrière quelque chose qui ne l’est pas ».
Il est également remarquable que cette situation survienne chez des femmes de tous âges et tous niveaux socioculturels. « "Toutes les jeunes femmes sont des femmes enceintes potentielles", nous disait notre vieux professeur de gynécologie quand j’étais étudiant à Toulouse. Cela nous faisait sourire… Je n’avais pas compris à l’époque qu’il nous parlait, en fait, sans le nommer, du déni de grossesse. J’ai vu en effet des femmes de tous les « styles »se trouver dans ce cas-là, certaines assez désorientées, d’autres croyantes, d’autres encore extrêmement organisées qui maîtrisent tout de leur vie et qui sont complètement sidérées par ce qui leur arrive ».
Déni médicalement assisté.
L’AFRDG, ainsi que l’APPRI (Association périnatalité prévention recherche information)**, militent pour la prévention non pas du déni mais des conséquences du déni de grossesse. « Nous sommes dans le déni du déni, nous vivons dans une société de DMA, de "déni médicalement assisté" », s’énerve le Pr Michel Delcroix, président de l’APPRI, qui dit avoir été choqué par ce qu’il a entendu au sujet de l’affaire Véronique Courjault, accusée de trois infanticides, « traitée avant tout comme une meurtrière ». Cette prévention passe par la formation des professionnels de santé. « Quand je lis le témoignage de cette femme qui, à l’hôpital où elle a accouché, a dû subir l’hilarité des infirmières, cela me fait froid dans le dos », déplore le Dr Navarro. Il faut aussi former les professionnels de la petite enfance « qui vont recevoir les enfants du déni » et améliorer l’information du grand public. « Une maman m’a raconté un jour que l’idée que sa fille soit enceinte lui était venue à l’esprit mais que comme celle-ci ne disait rien, elle ne s’était pas autorisée à aborder le sujet. »
Les associations offrent leur soutien à ces femmes en plein désarroi et à leurs familles. Elles proposent des accompagnements individuels et organisent des groupes de paroles. L’AFRDG organise la deuxième journée nationale sur le déni de grossesse à Montpellier le 10 octobre, le lendemain des 10 es Rencontres de l’APPRI sur les addictions et la santé des femmes.
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