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Dossier

Sauver les urgences… et le système de santé

Une « boîte à outils » avant les grands travaux ?

Par Loan Tranthimy - Publié le 08/07/2022
Une « boîte à outils » avant les grands travaux ?


AFP

Valoriser les actes de soins non programmés, renforcer la régulation médicale, faire appel aux retraités et aux remplaçants, éduquer la population au bon usage des urgences, mieux reconnaître le travail de nuit… : la « boîte à outils » du Dr François Braun, promu ministre de la Santé, doit permettre de passer l'été sans crise majeure. Mais libéraux et hospitaliers pressent le gouvernement d'engager des réformes plus profondes.

Propulsé à la tête de Ségur, en tandem avec Agnès Firmin Le Bodo (lire page 12), le Dr François Braun doit immédiatement s’atteler à la crise des urgences, qui fragilise l'ensemble de l'édifice du système de santé.

Et ça tombe plutôt bien  : chargé en juin par Emmanuel Macron d'une mission flash sur ce sujet, l'ancien patron de Samu-Urgences de France (SUdf) vient de formuler 41 recos pour diminuer la pression sur ces services saturés. Ces « réponses rapides et fortes » pour passer l'été – et éviter une catastrophe sanitaire – ont toutes été retenues par Matignon.

Aujourd'hui aux manettes, l'urgentiste doit donc mettre en application cette « boîte à outils » qu'il a lui-même imaginée, fruit d'un travail commun avec – notamment – deux médecins libéraux (le Dr Antoine Leveneur, président de la conférence des URPS médecins libéraux et la Dr Delphine Tortiget, généraliste à Cergy). Cette panoplie a vocation à se décliner dans les territoires sous la supervision des ARS et avec le soutien des Unions régionales. N'y figure pas la fameuse obligation de garde pour la ville, pourtant réclamée par la FHF, les représentants des patients ou nombre d'élus locaux. Au contraire, le successeur de Brigitte Bourguignon mise sur des mesures incitatives en direction de la ville comme à l'hôpital.

Attirer les volontaires

Pour diminuer la fréquentation à la porte des hôpitaux par la réorientation en amont des patients ne nécessitant pas d'urgence vitale (20 % à 40 %), le nouveau ministre veut d'abord renforcer les ressources humaines dans les Centres 15 et au sein des « services d'accès aux soins » (SAS), appelés à se généraliser. Proposé en 2019 et opérationnel dans 21 sites pilotes, le dispositif se heurte aujourd'hui à un système de rémunération jugé complexe et peu incitatif pour les libéraux.

Pour attirer davantage de volontaires, tant à la régulation qu'à l'effection, plusieurs avancées ont été retenues : une rémunération de 100 euros de l'heure (minimum) pour les généralistes régulateurs et, surtout, l'attribution d'un supplément de 15 euros par acte pour le médecin recevant un malade (hors patientèle) à la demande du Samu ou du SAS, dans la limite d'un plafond hebdomadaire. Ces revalorisations dérogent pour trois mois à l'avenant 9 décrié par les syndicats de médecins libéraux.

Autre avancée : l'octroi du statut de collaborateur occasionnel du service public pour les médecins régulateurs en journée, une demande de longue date. Aujourd'hui, par crainte du risque médico-légal, de nombreux médecins libéraux refusent de venir exercer la régulation, leur assurance étant, pour certains, fortement augmentée par cet exercice.

L'ouverture des maisons médicales de garde le samedi matin (alors qu'elles sont ouvertes à compter de 14 heures) avec une majoration de 15 euros des consultations a été actée. Mais l'inclusion du samedi matin dans les horaires de la permanence des soins ambulatoire (PDS-A) des cabinets libéraux n'a pas été clairement reconnue. Comme pendant la crise du Covid, l'adjuvat (cumul d'activité entre le titulaire et son remplaçant) sera de nouveau autorisé et le cumul emploi retraite facilité grâce à un déplafonnement des cotisations sans assujettissement Carmf et Urssaf.

Réguler les admissions

Les hospitaliers ne sont pas oubliés. Pour diminuer la pression, un tri à l'entrée des urgences ou une adaptation des horaires sont deux mesures envisagées. La régulation des admissions pourrait se faire par « un triage paramédical à l'entrée », soit par une « régulation médicale préalable systématique » par le SAMU/SAS.  

Après le Ségur de la santé, de nouveaux efforts budgétaires sont validés avec le doublement des majorations de nuit pour les personnels soignants et la revalorisation de « 50 % des gardes pour les médecins ». Mais ces avancées pour l'été ne dispenseront pas l'exécutif d'une reconnaissance plus globale de la pénibilité. Le secteur public et privé est appelé à collaborer dans le cadre de la permanence des soins en établissement (PDS-ES).

« Ce ne seront pas les mêmes solutions déclinées partout, insiste le Dr Antoine Leveneur, président de la conférence nationale des URPS. Chaque ARS devra travailler avec tout le monde pour piocher dans la boîte à outils en fonction des besoins des territoires, de la démographie médicale et de la situation à l'hôpital ».

Trop tardif ?

Malgré ces signaux inédits pour la ville, les représentants des libéraux restent sur leur faim. Un membre de la mission confie lui-même que ces solutions arrivent « un peu tardivement ». Le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, admet que la mission Braun a fait « un énorme travail » mais ne cache pas son inquiétude. « L'impact sera différent selon les territoires, faute de pouvoir mobiliser dans l'urgence les acteurs, car certains médecins sont déjà en congé », regrette-t-il. Dans son secteur où trois services d'urgences ferment à tour de rôle, le généraliste mayennais a préparé le terrain avec le Centre 15. « J'ai envoyé une demande à l'ARS pour pouvoir doubler la régulation sur la tranche 20 heures-22 heures, témoigne-t-il. Mais tant que je ne sais pas quand et comment appliquer la majoration de 15 euros, je ne peux pas faire appel aux médecins volontaires »

Du côté de MG France, sa nouvelle présidente, la Dr Agnès Giannotti, veut croire que la répartition des efforts permettra de tenir le choc. « On attend le calendrier d'application de ces mesures transitoires. Les généralistes feront de leur mieux pour assurer la continuité des soins comme ils l'ont toujours fait ». Quant à l'UFML, le syndicat redoute que ces dispositions se heurtent au mur des réalités. « On met le service d'accès aux soins à toutes les sauces alors qu'on manque d'effecteurs, je connais peu de médecins qui ont des plages libres », alerte le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML.

Réformes structurelles

Du côté des hospitaliers, on juge que l'ordonnance a goût de trop peu.

Les préconisations du ministre sont de « fragiles rustines sans parvenir à colmater toutes les fuites », ironise le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi (Snphare). Confronté à de très fortes tensions sur les ressources humaines (absentéisme, postes vacants, départs non remplacés de personnels médicaux et paramédicaux), le syndicat de PH attend davantage que des mesures de court terme qui « font l'impasse sur les conditions de travail des équipes, le temps de travail des médecins, l'attractivité des carrières ».  Le Collectif interhôpitaux (CIH) appelle dans la même veine le gouvernement à travailler sur des propositions d'attractivité comme la grille salariale des PH, la permanence des soins ou la gouvernance hospitalière.

De façon unanime, présidents de CME et intersyndicales réclament des « mesures structurelles » pour répondre aux causes profondes du malaise. Du grain à moudre pour la prochaine grande conférence des parties prenantes sur la santé, prévue dès cet été.

Loan Tranthimy