À force de scandales et de controverses largement médiatisées, et avec la montée en puissance des lobbies anti-vaccination, la population devient de plus en plus sceptique vis-à-vis de la sécurité, et même de l’utilité, de la vaccination. Face à cette crise de confiance, les médecins généralistes ont un rôle central à jouer ; plusieurs travaux ont montré à quel point leurs recommandations influencent les comportements de vaccination des patients. Mais quels sont leurs attitudes, sentiments et opinions sur le sujet ?
C’est ce à quoi s’est intéressée une équipe pluridisciplinaire française. Dans cette enquête réalisée entre avril et juillet 2014, 1 500 généralistes ont été interrogés par questionnaire sur des situations vaccinales précises (vaccins et populations cibles spécifiques). Le constat général est encourageant : parmi les participants, 80 % se sont déclarés « très favorables » à la vaccination en général – une nette augmentation par rapport au taux de 67 % enregistré dans une étude menée par la même équipe en 2010. Cependant certains résultats de cette nouvelle enquête sont surprenants, voire préoccupants…
Une pratique très hétérogène
D’une part, les généralistes interviewés sont loin de préconiser systématiquement à leurs patients certains vaccins, pourtant recommandés par les autorités sanitaires. Par exemple : ils sont 15,3 % à ne « jamais recommander » le vaccin contre le méningocoque C chez les nourrissons (17,5 % quand il s’agit de la piqûre de rappel), et environs 10 % quand il s’agit du vaccin contre le HPV pour les jeunes filles ou le vaccin de rattrapage contre l’hépatite B. « Si la grande majorité des médecins les recommande, c’est quand même assez étonnant de constater une telle hétérogénéité ! » s’exclame le Dr Pierre Verger, directeur adjoint de l’observatoire régional de la santé PACA, à Marseille, un des investigateurs principaux de l’enquête.
Autre constatation jugée troublante par ce médecin épidémiologiste : plus d’un quart des participants (26 %) a répondu être d’accord avec la proposition, « Aujourd’hui, certains vaccins recommandés par les autorités sont inutiles ». Globalement, près d’un quart d’entre eux émet des doutes à l’égard des risques et de l’utilité de certains vaccins, et une partie doute (disent n’avoir « pas du tout confiance » ou « plutôt pas confiance ») de la fiabilité des informations diffusées par les autorités sanitaires. « Encore une fois, cela ne concerne pas la majorité, mais c’est quand même un pourcentage non-négligeable et ça pose une vraie question de société : comment restaurer la confiance de ces médecins dans les autorités sanitaires ? Une vraie réflexion doit être menée là dessus », lance-t-il.
Un manque de connaissances
Le Dr Verger parle de « vaccine hesitancy » (hésitation vaccinale) – une appellation en vogue pour décrire le comportement de la population générale, mais qui semble aussi toucher les professionnels de santé. « C’est la première fois qu’on le montre de manière aussi nette chez les médecins. C’est une répercussion des controverses qui ont défrayé la chronique depuis les années quatre-vingt-dix, mais c’est aussi lié à des idées probablement plus pérennes, suggère-t-il. Il existe une petite minorité de médecins qui expriment des opinions assez radicales contre la vaccination, notamment des homéopathes et acupuncteurs, et c’est probablement lié au fait que la formation en matière de vaccination n’est pas suffisante. »
L’enquête révèle que 30 % des médecins pensent que l’utilisation d’adjuvants est susceptible d’entraîner des effets secondaires très graves – or ce lien n’a jamais été démontré scientifiquement. Autre idée erronée : 32 % déclarent que le vaccin contre la grippe saisonnière contient un adjuvant, ce qui n’est pas le cas. « Les médecins ont probablement des difficultés à naviguer et à faire le tri dans la masse d’information publiée », suggère le Dr Verger.
Un effet boule de neige
Conséquences de ces hésitations ? Certains praticiens se disent mal à l’aise pour expliquer certains aspects de la vaccination à leurs patients. Seulement 43 % d’entre eux se sentent à l’aise pour expliquer le rôle des adjuvants à leurs patients, par exemple. « Les patients arrivent en consultations avec un tas d’idées qu’ils sont allés pêcher à droite et à gauche dans des conversations avec des gens, sur Internet ou dans les médias. Ils arrivent avec des interrogations, parfois des affirmations, et les médecins ne sont pas toujours à l’aise pour y répondre. Il peut leur manquer des arguments, parce qu’ils n’ont pas forcément suivi toutes les discussions scientifiques, et ils n’ont simplement pas le temps ! », reconnaît le Dr Verger.
Près de 8 médecins sur 10 plébiscitent des outils de communication et d’information visant in fine leurs patients : argumentaires sur les bénéfices et les risques des vaccins, livrets d’information à destination des patients, campagnes d’information grand public. Se pose la question du savoir-faire nécessaire pour aborder des sujets difficiles avec une patientèle qui se veut de plus en plus autonome. « Les médecins sont pas du tout formés à faire ça, ils l’apprennent sur le tas. Certains s’en sortent mieux que d’autres mais c’est typiquement le genre de chose qui devrait être plus formalisé dans les études médicales », conclut le Dr Verger.
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