Dossier

Le jugement des libéraux sur le plan santé de Macron

Sondage : auprès des médecins, Agnès Buzyn a la cote, mais sa réforme beaucoup moins

Publié le 05/11/2018
Sondage : auprès des médecins, Agnès Buzyn a la cote, mais sa réforme beaucoup moins


18 mois après l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, la cote de sa ministre de la Santé semble inoxydable auprès des médecins libéraux. Selon notre sondage Stethos, son action est appréciée par 59% des médecins libéraux, soit à peu près autant qu'au printemps dernier. C’est une vraie prouesse, si l’on compare la situation d'Agnès Buzyn à celle de ses deux prédécesseurs, Roselyne Bachelot et Marisol Touraine qui, un an à peine après leur nomination, avaient déjà perdu une grande partie de leur crédit auprès des blouses blanches.

A quoi Agnès Buzyn doit-elle donc cette popularité ? Peut-être à son attitude proactive concernant la prévention et en particulier la vaccination. Sans doute aussi à son appartenance au corps médical, qui lui permet de mieux comprendre cette corporation. Et surement à la mise entre parenthèses du tiers payant généralisé et de la croisade contre les dépassements d’honoraires. Mais pour l’heure, sa popularité ne doit rien au plan santé qui a été annoncé mi septembre par le président de la République et qu’elle est chargée de mettre en œuvre. Six médecins sur dix prennent en effet leurs distances vis-à-vis de ce dispositif dont l’objectif assumé est de réformer leurs conditions d’exercice.

Revoir les études, pourquoi pas ?

Parmi les mesures que nous avons testées, fort peu trouvent grâce aux yeux des médecins qui ont répondu à notre sondage. « Il y a trois questions sur lesquelles la majorité des médecins répond positivement : outre la ministre qui est bien jugée, la création de postes salariés dans les déserts médicaux est soutenue et la suppression du numerus clausus est approuvée par la majorité, » observe Henri Farina, PDG de Stethos.

Il se confirme en effet que la réforme des études médicales épouse les attentes de la profession. En tout cas, 55% trouvent que la suppression du numerus clausus et la réforme de la PACES sont de bonnes idées. Les médecins comme le reste de la population ne savent encore pas grand-chose de ce qui sera mis à la place, mais à l’évidence, la volonté de revenir sur l’abattage de la première année est saluée par la plupart.

Du renfort, mais pas à n’importe quelle condition

Autre disposition qui trouve grâce aux yeux des médecins : le recrutement immédiat de 400 médecins salariés pour pallier la crise démographique dans les déserts médicaux. Plus de 61% des professionnels sondés accueillent positivement cette trouvaille, rajoutée un peu au dernier moment dans le plan du gouvernement, à l’initiative de l’Elysée. Et peu importe si ce recrutement est une entorse au libéralisme, semble penser la majorité. A situation dramatique, réponse urgente : c’est ce qui compte visiblement aux yeux de la majorité des praticiens, qui, sur ce point au moins, donne donc quitus au gouvernement.

Le reste des innovations engagées ces dernières semaines inquiète visiblement davantage. Objectif central du plan santé 2022, la fin programmée de l’exercice en solo n’est ainsi acceptée que par 46,7% des médecins libéraux. Une (petite) majorité de sondés regarde donc encore avec suspicion cette orientation vers le tout exercice regroupé que le gouvernement veut atteindre via des incitations financières. Ce n’est pas une opposition frontale (47% vs 53%) et peut-être pas une hostilité durable. Et d’ailleurs, la frange la plus jeune du corps médical n’est pas forcément de cet avis, les moins de 50 ans de notre échantillon s’y montrant au contraire favorable à 53%. Néanmoins, c’est le signe que le gouvernement est loin d’être suivi par tout le monde dans sa volonté de changer les règles du jeu traditionnelles.

A preuve : la création de postes d’assistants médicaux au service des médecins qui exercent en équipe se heurte à la même méfiance. Alors que les syndicats de médecins libéraux s’y montrent plutôt ouverts, plus de 55% des praticiens interrogés pensent que ce n’est pas une bonne idée. A l’évidence, la crainte d’un exercice encadré par les caisses et par l’Etat explique les réticences des médecins à ces changements. On s’inquiète du rôle réel qu’auront les assistants sur la pratique médicale et peut-être des contreparties exigées de ceux qui les emploieront et qui devront s’engager à augmenter leur activité. Et pour le reste, certains médecins ont peut-être du mal à définir ce nouveau métier.

La télémédecine ? Bof…

La même réticence s’observe –et peut-être pour des motifs similaires- vis-à vis de la télémédecine. Alors que son inclusion dans l’exercice quotidien voulue par le gouvernement et réclamée par les syndicats de la profession est effective depuis le 1er octobre, les médecins de terrain ne l’ont visiblement pas adoptée dans leur majorité : près de six praticiens libéraux sur dix continuent de regarder ce nouveau vecteur de consultation à distance avec circonspection. Comme si, aux yeux de nombre de médecins de terrain, le colloque singulier risquait de se trouver pour ainsi dire pollué par ces nouveaux venus au cabinet : employés médicaux ou nouvelles technologies de consultation à distance.

Voilà pour la photographie de la profession, un mois et demi après l’annonce de la réforme. Sur leur jugement sur le plan santé de Macron, les médecins de ville apparaissent plutôt homogènes : « On ne constate pas de différences notables entre les généralistes et les spécialistes, même si les premiers sont plus nombreux à être défavorables au plan Macron et les seconds un peu plus ouverts à la fin de l’exercice en solo, peut-être parce que les spécialistes exercent déjà plus souvent en groupe», relève Henri Farina, qui observe toutefois des «écarts plus marqués entre générations. Ainsi les moins de 50 ans apparaissent-ils favorables à l’exercice regroupé à la différence de leurs aînés. Mais ils semblent moins soutenir le recrutement de confrères salariés dans les déserts. Et surtout, ils paraissent plus réticents au développement de la télémédecine et à la suppression du numerus clausus, peut-être parce que ces deux réformes sont perçues par les plus jeunes comme un risque de se voir concurrencer par de nouveaux confrères. »

Au total, autant dire que même chez les moins âgés, la réforme des modes de fonctionnement voulue par le gouvernement n’est pas gagnée d’avance. Celui-ci a beau s’être mis les syndicats de son côté, cela ne suffit pas pour emporter l’adhésion du corps médical dans son ensemble. Agnès Buzyn devra donc encore convaincre pour imposer sa logique réformatrice. Et par chance, pour y arriver, son crédit reste intact auprès de ses confrères…

Fiche technique : Sondage Stethos réalisé sur internet du 10 au 22 octobre 2018 auprès de 455 médecins libéraux, dont 219 médecins généralistes et 236 spécialistes libéraux ou mixtes. Les pourcentages retenus portent sur les avis exprimés, soit 86% des médecins sondés pour la 1ere question, 86% pour la seconde, 78% pour la troisième, 89% sur la quatrième, 96% pour la cinquième, 94% sur la sixième, et 90% pour la septième

Paul Bretagne