Les revues scientifiques fonctionnent sur le même modèle depuis deux siècles. Les chercheurs soumettent des manuscrits à des rédacteurs en chef et comités de rédaction tout puissants. Des relecteurs externes donnent des avis proposant d’accepter ou de refuser ces manuscrits. Cette évaluation par les pairs (peer review), suspecte de toutes les perversions et conflits d’intérêts, est critiquée. Aucun système meilleur ne s’est imposé. La politique éditoriale des revues prestigieuses les pousse à privilégier l’innovation, les ‘hot papers’. Ces articles très cités, pour dire qu’ils sont bons ou mauvais, augmentent la notoriété des revues.
Deux modèles de publication, ni opposés, ni complémentaires pourraient améliorer la diffusion des résultats des recherches. En français, preprint se traduit par prépublication, voire préprint (avec accent), et registered reports par rapports enregistrés (protocoles acceptés serait mieux).
Preprint : dépôt d’un manuscrit non évalué sur une plateforme
Depuis 1991, avec la création de arXiv, des chercheurs ont pris l’habitude de déposer leurs manuscrits avant de les soumettre à des revues. En 2022, arXiv héberge plus de 2 000 000 de preprints en accès libre. Les disciplines utilisant arXiv sont : physique, mathématique, informatique, biologie quantitative, finance quantitative, statistiques, génie électrique et science des systèmes, et économie. Ce modèle de publication est devenu habituel dans ces communautés qui savent évaluer ces données. Les autres sciences ont tardivement créé des plateformes de preprints avec bioRxiv pour la biologie en 2013, et medRxiv pour la médecine fin 2019.
Ces plateformes avertissent les utilisateurs en annonçant en page d’accueil « Les preprints sont des rapports préliminaires de travaux qui n'ont pas été certifiés par un examen par les pairs. Ils ne doivent pas être utilisés pour guider la pratique clinique ou les comportements liés à la santé et ne doivent pas être rapportés dans les médias comme des informations établies ».
Des résistances ont retardé medRxiv qui a bénéficié de l’arrivée de la Covid-19. Les opposants expliquaient que les preprints seraient utilisés par des lobbies comme les antivax pour disséminer des données douteuses. Ils avaient raison. Des données sur les masques, l’ivermectine, l’hydroxychloroquine non évaluées par les pairs ont été discutées sans réserve par des médias privilégiant le sensationnel plutôt que les données probantes. La plupart de ces preprints n'ont pas donné lieu à publication ultérieure dans une revue scientifique. medRxiv est hébergé par le Cold Spring Harbor Laboratory (New York), géré avec la revue BMJ (Londres) et l’université de Yale (Connecticut), et soutenu par la Chan Zuckerberg Initiative.
Des données de bioRxiv montrent que près de la moitié des preprints seront publiés sous forme d’articles par des revues scientifiques. L’évaluation par les pairs améliore les preprints mais ne change pas fondamentalement les messages. Il est trop tôt pour faire un bilan de l’apport de medRxiv.
Registered reports : évaluation d’un protocole avant de commencer la recherche
Le modèle RRs (Registered reports) a été proposé en 2012. L’idée était de soumettre des protocoles à des revues avant de commencer la collecte des données et d’analyser les résultats. Les revues évaluent les protocoles et décident ou non qu’elles publieront les résultats quand ils seront connus. La décision s’appelle IPA pour ‘In Principle Acceptance’. L’IPA n’est pas remise en cause, sauf si le manuscrit est mal écrit, ou ne correspond pas aux objectifs du protocole. Les chercheurs ne sont plus tentés d’embellir les données pour plaire à un comité de rédaction avide d’innovations. Des données comparatives ont montré que la vérité émergeait facilement avec les RRs, et que les contes de fées diminuaient.
Plus de 300 revues scientifiques l’ont adopté parallèlement à l’évaluation classique (https://www.cos.io/initiatives/registered-reports). Bientôt 1 000 articles de type RRs auront été publiés. Ce modèle nécessite 2 à 5 ans avant de publier un article. Des revues médicales acceptent des protocoles RRs ; citons des revues des groupes Nature et PLOS, et de BMC Medicine, BMJ Open Science, British Journal of General Practice, Cancer Medicine, Sterility and Fertility, etc… mais il y en a d’autres, surtout en neurosciences.
Exergue :
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