La bulle jaune et blanche du centre de premier accueil (CPA) des migrants est visible depuis le périphérique nord de Paris, comme une tête de mouche posée dans la grisaille. À l'intérieur, des hommes et quelques femmes discutent devant des boissons chaudes. Certains le quittent le soir (les femmes et mineurs sont hébergés à Ivry). Les hommes pourront trouver refuge quelques jours dans un bâtiment attenant, « la halle », le temps d'être dirigés dans des centres d'accueil et d'orientation (CAO) en province, ou dans les centres d'hébergement d'urgence franciliens.
Le temps de souffler aussi. S'ils le souhaitent, ils peuvent bénéficier d'un bilan infirmier, réalisé par les salariés du SAMU social de Paris ; et/ou d'une consultation médicale, assurée par les médecins bénévoles de Médecins du monde (MDM), dans le pôle santé. Un container blanc et chaud, qui abrite six box, certains avec une table de consultation.
Dans la salle d'attente, des hommes, jeunes souvent, patientent en silence. Une majorité d'Afghans, et des Africains (Soudanais, Maliens, Érythréens, Somaliens). Ce mercredi de mars est particulièrement calme. Les visages sont impassibles. Comme blindés à force d'épreuves.
« Nous faisons surtout de la bobologie, du tout-venant, avec une pharmacie qui serait celle d'une mère de famille », explique le Dr Jeanine Rochefort, médecin MDM. « Nous n'avons que des traitements symptomatiques : paracétamol, ibuprofène, sirop contre la toux, médicament pour la diarrhée ou la constipation, antihistaminique, gel inflammatoire », énumère-t-elle. « Pas d'antibiotiques ». Les nombreux cas de gale sont traités sur place dans un box avec douche réservé à la décontamination.
Étant donné la courte durée du séjour des migrants au centre (moins de 10 jours), il est inenvisageable d'initier des traitements. « Nous faisons beaucoup de promotion de la santé et d'éducation thérapeutique pour éviter que les situations ne s'aggravent », explique le Dr Rochefort.
Si le cas s'avère trop complexe, les patients peuvent être conduits à l'hôpital. Le centre a négocié, par convention, une dizaine de places chaque jour dans les quatre permanences d'accès aux soins de santé (PASS) de Saint-Louis, Saint-Antoine, la Pitié-Salpétrière, et l'Hôtel-Dieu. De même pour toute suspicion de tuberculose : « Nous avons eu 8 cas sur 2 000 personnes rencontrées ; Toutes les conditions sont réunies : ils viennent de pays à forte endémie, et ont connu un parcours effrayant », explique le Dr Rochefort.
Pudeur et langue
Souvent, la présence d'un des quatres interprètes (deux pour l'arabe, deux pour le pachto-dari d'Afghanistan) est indispensable. Quoiqu’un peu frustrant, de l'avis de Jonathan, infirmier du SAMU social. « Heureusement, il y a beaucoup de non verbal », ajoute-t-il.
Autre obstacle à la communication, la pudeur de ces hommes, peu habitués à se dévoiler, surtout devant des soignantEs. « Pour une suspicion de gale, il a fallu appeler par téléphone un interprète ; je ne sais ce qu'il s'est dit, mais le patient qui ne voulait même pas soulever son tee-shirt m'a in fine laissé entrevoir un carré infime de peau », se souvient le Dr Rochefort.
« Ils se racontent peu. Quelques mots, lorsqu'ils portent sur leur corps les séquelles de la prison. Nous nous gardons aussi d'ouvrir les vannes, surtout que des spécialistes sont là pour le faire », corrobore une infirmière du SAMU social.
Écoute humaine
Le Dr Marina Ibad Ramos, membre de l'équipe mobile psychiatrie et précarité de Maison blanche, est l'une des psychiatres qui assurent les consultations 3 jours par semaines (MDM assure les deux autres jours).
« Pourquoi venez-vous me voir ? », leur demande-t-elle. La confiance est primordiale : « Je leur dis que je ne suis pas de la police ni de l'administration, que je ne prends pas de note, qu'ils peuvent parler », nous explique-t-elle. Certains migrants s'adressent au pôle pour voir directement le psy (ou demander des médicaments pour le sommeil, pourtant dispensés très parcimonieusement). D'autres sont orientés par l'infirmier ou le médecin, quand « la résistance lâche », et que les « blessures psychiques se rouvrent, maintenant qu'ils sont à l'abri », selon les mots de Jonathan.
« Ils sont en souffrance psychologique, éprouvent de l'angoisse et de la peur, décompensent ; certains souffrent de stress post-traumatique. Leur bagage est très lourd ; Ils sont épuisés par des années de voyage. Ils sont arrivés en France plein d'espoirs… mais ils vivent avec une épée de Damoclès, dans l'attente de savoir où ils vont aller », explique la psychiatre. « Certains pensent que c'est moi qui décide ; ou qui sait où ils seront réorientés », note-elle.
Comme pour le somatique, pas question de commencer ici une thérapie. Les psychiatres du CPA proposent une évaluation. Ils offrent surtout une écoute humaine, un endroit où parler de leurs espoirs et déceptions sans appréhension, dit le Dr Ibad Ramos. « Ils racontent les horreurs qu'ils ont vécu. J'essaie de leur dire : vous êtes là, vous avez eu la force de venir jusqu'ici, il faut maintenir cette force. Retravailler sur ces horreurs nécessite de la stabilité », dit-elle.
Médecins, infirmiers et psychiatres du pôle santé émettent des recommandations d'orientations. Vers une ville moyenne où une blessure orthopédique pourra être prise en charge ; là où il existe une équipe spécialisée dans le psychotraumatisme ; vers une petite ville calme, même si « tout le monde veut rester à Paris », ville de tous les fantasmes, constate la psychiatre. Difficile de savoir si l'avis médical sera suivi. Malgré les limites du dispositif qui n'est qu'un maillon dans une grande chaîne, « entre la rue et ici, il n'y a pas photo », conclut le Dr Rochefort.
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