En acquittant pour la troisième fois Daniel Legrand, alors que plusieurs victimes de viols l’accusaient formellement, la justice a de nouveau jeté le trouble sur la parole des enfants victimes. Depuis les procès de 2004 et 2005 qui avaient innocenté 13 des 17 mis en examen, selon la formule de la directrice de la Protection judiciaire de la jeunesse, Catherine Sultan, « on a peur de passer d’une parole (d’enfant ) presque évangile à un enfant forcément menteur ».
« Les enfants ne mentent pas », avait assuré le jeune juge Fabrice Burgaud, s’appuyant sur deux experts qui ont décrit leurs critères d’appréciation devant une commission parlementaire. « Un enfant qui revit une scène traumatique ne peut pas fabuler, expliqua Marie-Christine Gryson–Dejehansart, tandis que celui qui fabule est dans un état de contrôle total de l’autre et de lui. S’il y a reviviscence visuelle, kinesthésique, auditive, c’est un indice de validité extraordinaire. » Et la psychologue de brandir son « échelle de validité SVA », qui permet, selon elle, de « repérer les critères de vraisemblance, cohérence, enchâssement contextuel, évocation des états psychologiques et des interactions sexuelles. »
« faux souvenirs » et « souvenirs reconstruits »
Ces paroles des enfants d’Outreau furent aussi déclarées « crédibles » par un expert près la cour de cassation, docteur en psychologie, Jean-Luc Viaux, après recours à des tests validés par la littérature internationale, qui permettent d’évaluer dans la vie courante la perception du vrai et du faux des petites victimes.
Si par la suite deux autres experts, Émile Leprêtre et Alain Leuliet, se sont démarqués de leurs deux collègues, le magistrat n’en a pas tiré les conséquences, entraînant dans un retentissant naufrage juges, policiers, experts. Et crédibilité des enfants. Depuis ces procès, « l’idée s’est répandue qu’il serait dangereux d’écouter la parole d’un enfant », comme le remarque Jean-Pierre Rosenszweig, ex-président du tribunal pour enfants de Bobigny. La « mystification d’Outreau » donna même lieu à des dérapages pseudoscientifiques, avec notamment l’invention du « syndrome d’aliénation parentale » (SAP, lire ci-contre).
Outreau III vient donc d’aggraver encore la suspicion autour de la parole de l’enfant, l’avocat général évoquant, plutôt que ses mensonges, ses « faux souvenirs », ses « souvenirs reconstruits », conséquences des traumatismes subis à l’époque des faits.
La maltraitance pas assez signalée
L’appréciation de la validité du témoignage de l’enfant reste l’affaire du juge, mais c’est quand même le médecin qui est souvent en première ligne pour actionner le signal d’alarme. Or, selon les dernières données épidémiologiques, il ne le fait qu’exceptionnellement. La fiche intitulée « Maltraitance chez l’enfant : repérage et conduite à tenir », mise au point en octobre 2014 par la Haute autorité de santé (HAS), qui détaille la procédure en particulier à l’attention des médecins libéraux, s’applique à baliser un terrain compliqué. C’est que, note le sénateur François Pillet, « aussi surprenant que cela puisse paraître, les médecins ne sont pas formés à l’identification des signes d’alertes. Ils attendent des manifestations évidentes alors que dans la plupart des cas elles ne le sont pas ». La crainte de poursuites pour dénonciation abusive en cas de signalement erroné est souvent dissuasive. D’où l’intérêt de la proposition de loi déposée par Colette Giudicelli et présentée aujourd’hui devant l’Assemblée nationale, « pour renforcer le dispositif de signalement de maltraitances par les professionnels de santé » ; elle institue l’irresponsabilité civile, pénale et disciplinaire des professionnels de santé qui font un signalement. Elle crée de surcroit une obligation de formation professionnelle à l’identification des situations à risques. « Il faudra des méthodes pédagogiques plus à même que des cours magistraux pour faire réfléchir en commun les médecins, juges, avocats, enseignants, assistants sociaux, policiers, avec des jeux de rôle », prévient la pédiatre et épidémiologiste Anne Tursz, directrice de recherche à l’INSERM.
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