Au café du coin du XXIe siècle – Twitter ou Facebook – les médecins sont qualifiés de nantis, d’ingrats corporatistes, de capricieux qui ne veulent pas s’installer dans les déserts médicaux… Aujourd’hui, on #balancesonmédecin parce que pêle-mêle il ose prendre des vacances sans se faire remplacer, il n’est pas ouvert aux heures et aux lieux où les patients le souhaiteraient, il ne prescrit pas les médicaments pourtant vantés sur les forums internet… À l’inverse, dans les groupes de paroles virtuels de médecins, on ressent plutôt une impossibilité à répondre aux attentes, un ressenti difficile de l’agressivité des patients et des tutelles, voire un vrai sentiment de dépassement, de burn-out ou de dépression.
Non-respect des patients
L’idée des Drs Marianne Laine et Guillaume Picquendar, étudiants du Diu « Soigner les soignants » était de confronter des patients à la notion d’épuisement des médecins en général et de leurs propres médecins en particulier. Le travail en focus groupe a été mené auprès de patients sélectionnés et volontaires consultant de trois cabinets de médecine générale : l’un en milieu rural dans l’Eure, un deuxième en centre ville à Rouen, et un dernier en banlieue défavorisée de cette même ville.
Assis autour d’une table, les 14 volontaires, répartis en trois groupes selon leurs horaires de préférence, ont été invités par la généraliste rouennaise et son confrère de l'Eure à réagir à un entretien dirigé abordant dans un premier temps le sujet de l'épuisement professionnel en général, puis celui du burn-out des médecins.
Si la notion globale est assez connue de la plupart des patients, leur sentiment quant à un possible burn-out de leur propre médecin reste mitigé : « il n’y a quand même pas tellement de médecins qui sont atteints par ça ! » Pourtant, ils reconnaissent l’importance de la charge de travail, des difficultés liées à la gestion du temps et à la multiplicité des tâches à accomplir. Mais ce qui ressort des entretiens, c’est aussi des phrases telles que : « il faut aller vite, il faut faire le plein de patients » ; « c’est un non-respect des patients ».
On ne lui demande pas ses états d’âme
Invité à échanger sur les facteurs personnels qui pourraient conduire un médecin au burn-out, le panel retient « le surinvestissement, la volonté de tout faire parfaitement », Les changements sociétaux, la pénurie de médecins, la localisation de l’exercice sont aussi soulignés comme facteur de risque : « la population est devenue tellement exigeante, même avec le médecin » ; « le généraliste, c’est le fantassin de la médecine, celui qui est en première ligne, qui en prend plein la figure ».
Bien qu’initialement, les patients interrogés aient minimisé le risque d’épuisement de leur médecin, au fil de l’entretien ils parviennent à verbaliser les conséquences qu’ils ressentent sur la relation médecin-patients : « il nous parle et il est comme ça avec le coude sur la table… » ; « la relation est tellement, heu… appauvrie ».
Les Drs Laine et Picquendar ont demandé aux patients si eux-mêmes pourraient, à leur avis, jouer un rôle dans le repérage du burn-out chez leurs soignants. Certains mettent en avant qu’en cas de relation ancienne, il est possible de percevoir des signes tels que les changements d’organisation du cabinet, les erreurs dans les prises de rendez-vous. Et que feraient-ils dans ce cas ? La plupart ne modifieraient pas leurs habitudes. D'autres éviteraient certains sujets. D'autres encore changeraient de médecin : « on ne lui demande pas ses états d’âme » ; « si j’ai une petite déprime, je ne lui en parle pas, il a déjà pas une vie joyeuse » ; « changer de médecin ? Mais il faudrait encore que ce soit faisable ».
Des petits chocolats à Noël
Pour les Drs Laine et Picquendar, « l’enquête a permis de mettre en lumière une image idéalisée du médecin : un professionnel fort, blindé, engagé dans sa vocation, dédié aux autres et qui ne peut pas tomber malade. Le médecin en burn-out est décrit comme déstabilisant, choquant voire triste. Il pose un problème de confiance : est-il capable d’exercer son métier ? ».
Les patients expliquent à leur façon ce ressenti. « Je n’attends pas de mon médecin qu’il me dise qu’il est malade », avoue celui-ci. « Je ne me suis jamais posé la question, pour moi un médecin peut ne pas être bien par moments mais en burn-out, non », assène celui-là. « Ça fait peur de voir un médecin en burn-out, ses capacités ne sont pas au top, » redoute un troisième.
Les dernières questions de l’enquête portaient sur les actions possibles vis-à-vis d’un praticien à risque d’épuisement. Les réponses en disent long sur le désarroi que ressentirait la patientèle en pareille situation : l'un suggère « des petits chocolats à Noël », l'autre « un petit mot positif : vous n’allez pas me laisser tomber », en guise de réconfort. « On peut informer un de ses collègues, mais on n’en parle pas dans la salle d’attente, tout le monde rigolerait », résume une personne de l'échantillon.
En réalité, les verbatim analysés confirmaient que les patients ne se sentaient pas légitimes pour soulever ces questions. Soit que l'on se sente incompétent : (« c’est pas à nous de dire ça, il faut vous faire soigner si vous n’allez pas bien »), soit que l'on préfère se décharger sur quelqu'un d'autre (« une fois, j’en ai parlé à la secrétaire, elle m’a dit oui je sais et ça n’a rien changé »), soit que l'on choisisse de botter en touche (« s’il a des problèmes personnels ce n’est pas les nôtres, on ne peut rien faire pour lui »), soit enfin que l'on s'interroge (« on peut faire quelque chose, mais quoi ? »).
Au final, les Drs Laine et Picquendar concluent que « les patients ont une image idéalisée des médecins ». Leur analyse ouvre néanmoins certaines perspectives : « ils sont prêts à entendre que leur médecin aussi peut avoir des problèmes de santé voire un burn-out. Une plus large information pourrait permettre de lutter en partie contre les préjugés ».
Laine M, Picquendar G. Mémoire de fin de DIU. Burn-out des médecins, le point de vue des patients.
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