Courrier des lecteurs

Marisol Touraine n’a rien compris

Publié le 15/12/2014
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Il faut que les Français, tous les Français puissent accéder aux soins, sans obstacle financier.

Vœu pieux.

Et partagé par tous les médecins.

Alors, ou est le problème ?

Pourquoi ce préavis de grève pour les médecins de ville (généralistes et spécialistes exerçant en cabinet ou en clinique) ?

C’est, selon Madame Touraine, le médecin libéral qui est fautif, car il sélectionne les patients, et exige des dépassements d’honoraires scandaleux, au point de s’enrichir honteusement. Le fantasme est tenace : pour faire fortune, il est au contraire bien connu qu’il ne faut pas faire médecine ; pour preuve, il n’y a plus de jeunes pour prendre la relève, plus de docteurs pour pratiquer la chirurgie, l’anesthésie, la pédiatrie, la gynécologie…

Pour faciliter l’accès aux soins, il y a d’autres pistes.

Valoriser le métier de médecin de ville par exemple. Et le paiement des actes, qui n’ont pas été revalorisés depuis plus de 20 ans. Mais il ne faut pas rêver : même les gouvernements de droite ne l’ont pas fait.

Il est surprenant que l’idéologie qui a conduit la réforme des allocations familiales n’ait pas été collée à la médecine : des soins accessibles à tous, remboursés de manière variable, selon les revenus.

Madame Touraine aurait pu, avec une logique socialiste, aller jusqu’au bout de sa logique :

- tous les médecins (public et privé) salariés au même tarif, sur la même base de 35 heures de travail hebdomadaire.

- les cliniques conventionnées (et donc subventionnées par la Sécurité sociale) devront réinvestir la totalité de leurs bénéfices. Fini les cliniques pseudos-privées financées par la Sécurité sociale !

Parallèlement, le gouvernement aurait laissé se développer une vraie médecine libérale, pour les méchants Français fortunés, non conventionnée, donc non remboursée par la Sécurité sociale mais seulement par les mutuelles et les assurances. Ainsi, les Français auraient le choix de cotiser pour l’un ou l’autre des systèmes, avec à la clé une économie substantielle pour la Sécurité sociale…

Mais cela aurait supposé une démarche logique et courageuse.

Sans aller jusqu’à tout casser, il aurait été possible, pour « faciliter l’accès aux soins », de renforcer l’hôpital public, en lui donnant les moyens en personnel : l’hôpital manque d’infirmières, depuis une certaine réforme du temps de travail.

Dans la même logique, il aurait été possible d’augmenter l’efficience des médecins hospitaliers, en interdisant purement et simplement à l’hôpital les dépassements d’honoraires, et le secteur privé (la Sécurité sociale rémunère directement le médecin, en plus de son salaire). Faut-il rappeler que les praticiens hospitaliers sont salariés par l’hôpital ?

Non, Madame Touraine a fait un choix : c’est aux médecins de ville que qu’elle demande l’effort qui réglera selon elle le problème de l’accès aux soins : les médecins de ville devront plier au tiers payant et s’interdire les dépassements d’honoraires.

Pour le tiers payant, qui permet à un patient de ne pas faire l’avance des frais de consultation, rappelons qu’à l’hôpital, ce sont des agents administratifs payés par l’État qui assurent ce travail de facturation. En ville, c’est un médecin surchargé, qui travaille le samedi, le dimanche, ou la nuit (les 35 heures, c’est pour les autres) qui devra s’acquitter lui-même de cette tâche administrative stupide et chronophage. Sans compensation bien sûr…

La question qui mérite d’être posée est la suivante : est-ce vraiment l’avance des frais qui limite l’accès aux soins ? En clair, est ce qu’un patient démuni ne va pas voir son médecin, parce qu’il n’a pas de quoi avancer le prix de la consultation ?

Cette théorie ne tient pas, car les médecins, moins méchants que l’on voudrait le faire croire, savent reporter de quelques jours ou de quelques semaines l’encaissement d’un chèque.

Le vrai problème de l’accès aux soins, ce sont des délais d’attente. Et il y a des délais parce qu’il manque des médecins !

Madame Touraine ne veut pas voir ce qui est pourtant cruellement évident : depuis quelques années, les médecins partent à la retraite sans successeurs, au point que dans les campagnes comme en ville, on doit faire appel à des médecins salariés, souvent étrangers : 50 000 médecins étrangers exercent en France !

Est-ce logique alors de demander encore plus aux médecins encore en poste ?

Madame Touraine veut interdire tout dépassement d’honoraires aux médecins qui exercent en clinique. Sous peine de sanction : suppression des autorisations de service public pour la clinique dans laquelle exercent ces médecins. Cette fois-ci, il s’agit d’étendre l’interdiction des compléments d’honoraires pour les autres médecins qui exercent dans la même clinique, et pour tous les actes réalisés dans cette clinique, une opération de chirurgie esthétique par exemple.

Inutile, contre-productive, injuste

Réforme inutile si l’on se place sur un plan moral, car pour les urgences le problème est réglé depuis longtemps, et les dépassements d’honoraires sont interdits.

Réforme contre-productive, puisque la fermeture d’un service d’urgence ou d’une maternité dans une clinique va embouteiller un peu plus les hôpitaux.

Réforme injuste aussi, puisqu’à l’hôpital public les dépassements d’honoraires seront autorisés !

Pendant ce temps, la dette de la Sécurité sociale continuera d’être payée par les Chinois, et les fonds d’investissements anglais, suédois, américains, ou australiens, continueront de spéculer sur le système, et de réaliser des confortables bénéfices sur le dos de la Sécu…

Car au lieu de s’attaquer à ce vrai problème, Madame Touraine, par idéologie, confond les groupes financiers qui exploitent les cliniques privées et avec les médecins qui y travaillent.

Marisol Touraine n’a rien compris.

Dr Jacques Afriat Narbonne (11)

Source : Le Quotidien du Médecin: 9374