Le scandale portant sur les graves dysfonctionnements dans certains établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) privés ne faiblit pas, à la suite de la publication du livre « Les Fossoyeurs » du journaliste Victor Castanet.
Alors que l'audition des dirigeants d'Orpea avait laissé un goût de déception aux députés de la commission des affaires sociales, c'est la directrice générale de l'agence régionale de santé (ARS) Île-de-France, Amélie Verdier, qui était entendue ce mercredi.
Taux d'encadrement, absentéisme
La directrice – en poste depuis l'été 2021, après le départ d'Aurélien Rousseau – s'est employée à répondre de façon détaillée aux questions des élus, notamment sur la mise en place des contrôles administratifs, l'une des défaillances pointées dans le livre enquête. « Les pratiques décrites relèvent de la maltraitance et de fautes graves, sur lesquelles toute la lumière devra être faite », a d'emblée reconnu Amélie Verdier, avant de donner de nombreux éléments chiffrés.
Sur les 707 Ehpad de la région, 340 sont à but lucratif et 57 appartiennent au groupe Orpea, soit 8 % des places pour 5 100 résidents. Ces établissements ont reçu l'an dernier 102 millions d’euros de financement publics (versés par l'ARS), dont 7 millions au titre de la crise Covid.
Dans les établissements Orpea, le taux d'encadrement moyen est de 62 ETP pour 100 patients, et de 48 ETP pour 100 patients pour le personnel paramédical, proches de la moyenne régionale. Le taux d'absentéisme est de 15 %, pour une médiane régionale de 12 %, et celui de postes vacants de 7,3 %, contre 1,6 % dans toute l'Île-de-France. Quant aux signalements et réclamations, en 2021, 575 signalements ont été reçus par l'ARS pour des Ehpad, de multiples nature, dont 92 pour le groupe Orpea, depuis fin novembre 2020.
Peu de contrôles inopinés
Depuis 2011, seules 16 inspections ont été réalisées dans 14 des 57 Ehpad Orpea, avec dans la plupart des cas des recommandations et des prescriptions formulées, mais pas d'injonctions. Les contrôles inopinés représentent 20 à 25 % des contrôles, un taux qu'il serait nécessaire d'augmenter, concède Amélie Verdier. « Le reste des contrôles ont un délai de prévenance qui peut aller de 24 à 48 heures à deux à trois semaines », reconnaît-elle. Depuis la publication du livre, l'ARS Île-de-France a déjà commencé à renforcer ces contrôles.
Interrogée de façon détaillée sur leurs modalités, Amélie Verdier a rappelé qu'une inspection n'est que « la face la plus visible du système ». Le travail se fait aussi en amont, « à chaque fois qu’il y a une réclamation, nous examinons la plainte, que l'on confronte à d'autres signaux », comme le taux de postes vacants ou l'absentéisme. Les inspections sont ensuite déclenchées selon « un faisceau de motifs ». 20 personnes y sont affectées au sein de l'ARS, plus de 200 personnes peuvent potentiellement y prendre part, dont des médecins, pharmaciens et infirmiers. « Il faudra renforcer ce potentiel d’inspecteurs », reconnaît encore la haut fonctionnaire, qui souhaite aussi « encourager les familles et les personnels à faire part d’événements indésirables ».
Turn-over important
La directrice générale a également fait le point sur l'établissement « Les bords de Seine », le plus luxueux du groupe, visé dans l'enquête de Victor Castanet.
Un contrat d'objectifs et de moyens (Cpom) a été conclu en 2017 pour la période 2018-2022, et une inspection inopinée a été réalisée en août 2018 par l'ARS, qui a identifié « un turn-over important, un manque d'encadrement, une présence trop faible du médecin coordonnateur », mais aussi des dysfonctionnements dans les prises en charge. À la suite de cette inspection, l'établissement aurait corrigé le tir en renforçant notamment la présence d’un médecin coordonnateur. « Il n'y a pas eu de suspicion » de défaillances graves, telles que celles décrites dans le livre, souligne Amélie Verdier.
Le Défenseur des droits avait de son côté alerté l’ARS par courrier fin décembre 2019 sur l'établissement, et une nouvelle inspection inopinée était prévue début 2020. « Mais la crise sanitaire a bouleversé les contrôles de l’ARS, nos agents ont surtout été affectés en cellule de crise pour accompagner les Ehpad », reconnaît sa directrice. Par ailleurs, après une réclamation traitée par l'ARS, mais qui n'a pas satisfait une famille, une plainte pour homicide involontaire a été déposée contre l'établissement « pour un décès survenu en 2020 », indique Amélie Verdier. Enfin, 15 décès ont été constatés sur 2020-2021 dans l'établissement, un chiffre proche de la moyenne régionale.
Ménage en cours
Malgré ces explications de l'ARS francilienne, le journaliste Victor Castanet, auditionné à la suite de la directrice générale, a affirmé que les ARS et l'État avaient « failli » à s’assurer de la bonne utilisation des fonds publics. « Il y a très peu de contrôles : les ARS n’ont pas de moyens d'enquête à la hauteur de leurs missions, juge Victor Castanet. Et comme de toute façon les établissements étaient souvent prévenus, ils avaient le temps de mettre les choses en ordre, avec une facilité déconcertante. »
L'auteur des « Fossoyeurs » a alerté les députés. « Plus l’État laisse du temps, plus des mesures de correction seront mises en place par Orpea ». « Si vous ne lancez pas une commission d'enquête parlementaire, vous n’aurez pas de réponse », a-t-il asséné, doutant de l'efficacité des deux enquêtes (Igas et IGF) lancées par Brigitte Bourguignon. « Le groupe serait déjà en train de prendre des dispositions, des vacataires ont été licenciés et des consignes ont été transmises aux directeurs pour faire le ménage », a assuré Victor Castanet, laissant les députés pantois.
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