La commission d’enquête du Sénat – présidée par l'élu LR du Val-d'Oise, Arnaud Bazin – estime dans son rapport sur le sujet que l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques s'apparente à un phénomène « tentaculaire ». Une situation de dépendance qui soulève une double question : « notre vision de l’État et de sa souveraineté face à des cabinets privés » et « la bonne utilisation des deniers publics », pointent les auteurs.
Pans entiers sous-traités
Fruit d’un travail d’investigation de quatre mois et de nombreuses auditions, dont celle remarquée d’Olivier Véran, ce rapport précise que le coût du recours aux cabinets de conseil extérieurs a plus que doublé entre 2018 et 2021 (379 millions d’euros à 893 millions d’euros), avec une forte accélération en 2021 (+ 45 %). Le lendemain de sa remise, Emmanuel Macron avait affirmé que cette hausse des dépenses était liée en grande partie à la crise sanitaire.
Le rapport précise que le ministère de la Santé se situe à la 5e place de ceux ayant le plus dépensé en 2021 (représentant 85 % des dépenses), avec l’Intérieur, Bercy, la Défense et la Transition écologique. Et de fait, dans un contexte d'impréparation de l'État, des « pans entiers » et des questions centrales de la gestion de la crise sanitaire ont été sous-traités à des cabinets de conseil dont McKinsey (« clé de voûte » de la campagne vaccinale), Citwell (le logisticien) et Accenture (l’architecte des systèmes d’information, dont le passe sanitaire). À eux trois, ils ont concentré les trois quarts des dépenses de consultants privés qui étaient facturés en moyenne 2 168 euros par jour.
Citwell a ainsi organisé l’approvisionnement en masques, leur stockage et leur distribution entre mars et octobre 2020, avant d’être missionné pour la fourniture d’équipements de protection individuelle (blouses, gants, etc.), de médicaments de réanimation et de vaccins.
Mais le gouvernement a surtout fait appel à McKinsey, omniprésent pour la campagne vaccinale, entre novembre 2020 et février 2022. Le cabinet a rempli quatre missions principales : organisation logistique (distribution des vaccins, suivi des livraisons, stocks, injections ou rendez-vous, etc.), indicateurs et outils de suivi, analyses sectorielles (plan d’action pour la campagne de rappel de la 3e dose, etc.), gestion de projet (restructuration de la task force « vaccins » par exemple).
Deux cabinets (McKinsey et Accenture) sont aussi intervenus dans l’évaluation de la stratégie nationale de santé 2018/2022, et donc dans l’audit de politiques publiques. Ils ont accompagné la Drees, le service statistique du ministère de la Santé, pour élaborer et suivre des indicateurs de résultats et d’impact. Ségur affirme sur ce sujet que « les ressources internes de la Drees ne permettaient pas une telle mobilisation en volume (très nombreux entretiens qualitatifs à conduire) » ; le ministère avait donc besoin de « compétences expertes ». Interrogé par la commission d’enquête, Olivier Véran a évoqué une « aide ponctuelle dans une période compliquée ». Sauf que cette aide, initialement fixée à 484 320 euros, a été facturée 1,12 million d’euros par les cabinets.
Opacité et risque de conflit d'intérêts
Les rapporteurs observent également que certaines prestations de conseil sont particulièrement « opaques », dès lors que les interventions doivent rester discrètes (et que les consultants privés s'intègrent aux équipes de fonctionnaires en place). Ainsi, le cabinet McKinsey n’utilise pas son propre logo pour rédiger ses livrables mais celui de l’administration (en accord avec le ministère). Une observation confirmée par Olivier Véran, devant la commission d’enquête : « Si vous aviez voulu [les] documents estampillés McKinsey présents dans le dossier, vous auriez trouvé une feuille blanche. » Si la pratique est courante dans le secteur du conseil, elle nuit à la transparence. Mais surtout, sur le fond, les entreprises de conseil proposent régulièrement des scenarii « orientés », ce qui « renforce leur poids dans la décision publique », peut-on lire.
De façon plus générale, le risque de « conflits d’intérêts » est longuement souligné, en cas de conseils simultanés à plusieurs clients, ainsi que le risque de « porosité » lorsque les cabinets recrutent d'anciens responsables publics (« pantouflage »). L’État ne dispose de fait « d’aucun moyen pour s’assurer de l’absence de conflit d’intérêts chez ses consultants », puisque son pouvoir de contrôle ne couvre que les agents publics, insistent les rapporteurs. Interrogé sur ce point par la commission d’enquête, Olivier Véran a assuré que « la loi ne prévoit pas de vérification concernant les activités antérieures ou les liens familiaux des uns et des autres. Nous avons scrupuleusement respecté la loi, rien que la lettre de la loi. » Parmi les plus de 5 000 fichiers transmis par le ministère, la commission d’enquête n’a retrouvé que cinq déclarations d’intérêts renseignées par des salariés de McKinsey, pour la plupart consultants juniors.
Dans ce contexte, le Sénat recommande de faire signer par les cabinets privés, dès le début de leurs missions, un code de conduite précisant « les règles déontologiques applicables et les moyens de contrôle mis en place par l’administration ». Il conviendrait aussi d'« imposer » une déclaration d’intérêts aux cabinets, à leurs sous-traitants et aux consultants.
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