Les pouvoirs publics prêts au bras de fer avec les laboratoires

Le débat s'envenime autour du prix des médicaments innovants

Par
Publié le 02/02/2017
Article réservé aux abonnés
debat

debat
Crédit photo : dr

Initié à l'occasion de l'arrivée sur le marché du traitement contre l'hépatite C Sovaldi du laboratoire Gilead, le débat sur le prix des médicaments innovants ne cesse de prendre de l'ampleur et la campagne pour l'élection présidentielle de 2017 polarise encore plus les positions.

Deux conceptions s'opposent. D'un côté, certains professionnels de santé et d'associations de patients s'élèvent contre des tarifs qu'ils jugent injustifiés. Avant l'été, la campagne de Médecins du Monde avait frappé les esprits. La Ligue contre le Cancer avait pris le relais en octobre dernier en organisant un débat sur le financement de l'innovation. Médecins du Monde et le Collectif interassociatif sur la santé (CISS, usagers), réclament l'emploi de la licence d'office, un dispositif qui permet à un État d'autoriser l’exploitation d’un brevet par un tiers sans le consentement du titulaire des droits. Et donc, à un coût bien moindre.

Les pouvoirs publics ne restent pas insensibles à ce sujet. François Hollande a réclamé, pour l'heure sans succès, une initiative auprès du G7 au printemps dernier. Toutefois, le dernier budget de la Sécu prévoit, outre un élargissement de l'accès aux autorisations temporaires d'utilisation (ATU), un dispositif de maîtrise financière visant à garantir la soutenabilité des prix des nouveaux traitements. De son côté, Marisol Touraine se félicite que le Comité économique des produits de santé (CEPS) et le laboratoire Abbvie soient arrivés à un accord pour faire baisser le prix de son association de molécules dans le traitement de l'hépatite C (Viekirax et Exviera) qui passe de 42 515 à 28 730 euros pour douze semaines de traitement.

Double tranchant

Chez les industriels, on prévient que la licence d'office est une arme à double tranchant, qui provoquerait l'exil des labos d'un pays qui l'utiliserait. Les entreprises du médicament (LEEM) ont rappelé que pour un traitement qui arrive sur le marché, des dizaines d'autres ne franchissent pas la barrière des essais cliniques. Pour continuer à faire de la recherche, les industriels doivent donc inclure dans leurs coûts celui de ces candidats malheureux.

De même, le prix de l'innovation ne saurait procéder de la seule addition des coûts de fabrication, « une idée totalitaire » selon Patrick Errard. « J'entends l'émotion suscitée, mais il faut la laisser dans l'antichambre de la négociation », continue le président du LEEM. Il rappelle que l'innovation apporte de l'efficience au système de santé, en même temps qu'un bénéfice évident pour le patient. « Tout cela a une valeur qui doit être prise en compte dans l'évaluation. »

La campagne électorale ne calme pas les discussions sur ce sujet. Lors d'un débat télévisé de la primaire de la gauche, le candidat investi Benoît Hamon a affirmé qu'il n'excluait pas de recourir à la licence d'office. Le CISS est également très vindicatif. Le collectif d'usagers lance une campagne baptisée « objectif présidentielle 2017 » dont l'un des cinq thèmes est le prix des médicaments innovants. L'occasion de dénoncer des produits dont « le prix est égal à 400 fois le coût de production », ou des laboratoires n'hésitant pas à faire « exploser » le prix de leur médicament quand les conditions du marché le permettent.

Même le prudent Conseil économique, social et environnemental (CESE) juge la situation intenable. Dans un avis adopté fin janvier, il estime que le prix des traitements innovants pourrait conduire à une sélection des malades, et milite pour une régulation accrue des prix.

Conseil d'ami ou déclaration de guerre

Lors de ses vœux à la presse, Marisol Touraine a adressé un « conseil d'amie » aux labos, les invitant à baisser leurs prix. La ministre a rappelé que la dernière loi de financement de la Sécurité sociale contenait un mécanisme permettant aux pouvoirs publics de fixer eux-mêmes le prix de certains médicaments innovants (dans son article 98). Patrick Errard, qui s'exprimait au même moment, n'a pas manqué de répliquer : « Ce dispositif ressemble beaucoup à l'article 49.3 de la constitution, dénonce-t-il, s'il est utilisé par les pouvoirs publics, ce sera une déclaration de guerre. »

Le LEEM se dit toutefois prêt à repenser la manière dont un médicament est évalué. Patrick Errard reconnaît que la tâche n'est pas aisée. « Quel est le bon critère ? », s'interroge-t-il ? Sans attendre l'issue des prochaines échéances électorales, le LEEM a déjà mis en place un groupe de travail pour plancher sur la question.

Henri de Saint Roman

Source : Le Quotidien du médecin: 9552