Pour sa première campagne tarifaire, Agnès Buzyn a surpris son monde (hospitalier) en annonçant dès lundi les arbitrages qui définissent les montants remboursés aux établissements pour leurs prestations de soins (généralement attendus début mars).
Il n'y a pas eu de miracle : comme l'avait annoncé Édouard Philippe quelques jours plus tôt, à Eaubonne (Val-d'Oise), les tarifs 2018 sont une nouvelle fois en baisse, au grand dam des fédérations hospitalières qui avaient mis en garde sur le risque de « point de rupture ».
Après un premier semestre sous les meilleurs auspices, la ministre de la Santé entame avec cette décision une deuxième séquence politique dans un climat de défiance, notamment à l'hôpital public, qui se dit pressurisé. À peine les groupements hospitaliers de territoire (GHT) installés, les 1 000 hôpitaux vont devoir composer avec la réforme de la fonction publique et repenser leur financement, dans le cadre de la stratégie de transformation du système de santé pilotée par Matignon.
Anticipant le courroux collectif, Agnès Buzyn avait pourtant reçu ces derniers jours les grands lobbies du secteur : Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne (FEHAP, privé non lucratif), Fédération Hospitalière de France (FHF), UNICANCER (qui représente 20 centres de lutte contre le cancer) et Fédération nationale des établissements d'hospitalisation à domicile (FNEHAD).
Un modèle qui ne tient plus, selon la FHF
Malgré ces précautions, la pilule ne passe pas, même si le degré de mécontentement est variable. Dans les hôpitaux, la baisse des tarifs atteint 1,2 %, en tenant compte du coefficient prudentiel (mécanisme des crédits gelés en début d'année) de 0,7 %. Alors que le déficit du secteur public devrait atteindre le chiffre record de 1,5 milliard d'euros en 2017, Frédéric Valletoux estime que les établissements doivent se préparer à « sans doute vivre la même chose en 2018 » avec ce nouveau coup de rabot. « Cette politique tarifaire fragilise un modèle économique qui ne tient plus, fondé par anticipation d'un volume d'activité virtuel, analyse le président de la FHF. Je suis déçu : nous n'avons pas été entendus. » La FHF a fait ses comptes : les hôpitaux ne pourront compenser cette baisse tarifaire qu'en supprimant 33 000 emplois. Une solution « inenvisageable » pour la fédération.
Pour les 1 000 cliniques commerciales, le verdict est moins sévère que sous le mandat de Marisol Touraine. Pour compenser la réduction du crédit d'impôt pour la compétitivité (CICE), le privé commercial engrange un bonus tarifaire de 0,3 point, ce qui limite le coup de rabot global à -0,9 % pour le secteur privé lucratif (gel prudentiel intégré). « Ça reste une baisse, mais c'est un effort dans la douleur », commente Lamine Gharbi, heureux de la stabilité tarifaire en psychiatrie. Pour le président de la FHP, « l'inquiétude et la contrariété » viennent d'ailleurs, en l'occurrence d'un décret publié dimanche dernier qui « sanctuarise » la neutralisation chaque année des crédits d'impôt et des allégements de cotisations des cliniques.
« Massacre » dans le privé non lucratif
Sur le papier, c'est aussi un moindre mal pour l'hospitalisation à domicile (HAD), qui voit ses tarifs augmenter de 0,7 %, comme en 2016. Pour autant, ce statu quo politique reste « sans ambition » pour la FNEHAD et sa présidente, le Dr Élisabeth Hubert, qui attendait mieux que « la simple reconduction des évolutions passées ».
Mais le grand perdant de cette campagne tarifaire est le secteur privé à but non lucratif – et ses 135 établissements de médecine, chirurgie et obstétrique. La baisse tarifaire y atteint 1,7 %, en comptabilisant l'impact du crédit d'impôt sur la taxe sur les salaires (CITS, neutralisé à hauteur de -0,5 point). Dans un secteur qui ne peut compter ni sur l'État ni sur des actionnaires pour remettre au pot, Antoine Perrin, directeur général de la FEHAP, est catégorique : « Avec trois établissements sur quatre déficitaires, cette décision va se traduire par un véritable massacre d'ici à la fin de l'année. »
La pierre dans un autre jardin ?
Les marges de manœuvre du gouvernement pour éteindre le feu qui couve sont minces. En signe d'apaisement, Ségur pourrait anticiper le reversement intégral prévu à la fin de l'année des crédits gelés, mesure réclamée par l'ensemble du secteur – qui n'a récupéré que 150 millions d'euros sur 400 en 2017. Ce n'est pas à l'ordre du jour.
Engagé dans une politique réformatrice, Matignon a plutôt choisi une ligne transverse. A défaut de desserrer l'étau hospitalier, le gouvernement pourrait resserrer un peu celui de la ville. Édouard Philippe attend en tout cas de sa ministre de la Santé des propositions « d'ici à l'été » « pour améliorer la régulation de l'ONDAM [dépenses maladie, NDLR], et notamment de l'ONDAM des soins de ville ». Une pierre jetée cette fois dans le jardin de la médecine libérale ?
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