Trois ans après la remise du rapport Uzan sur la recertification des médecins, le gouvernement s'apprête à réformer en profondeur la formation médicale continue tout au long de la vie. Un projet d'ordonnance, que « Le Quotidien » s'est procuré, fixe le cadre de ce dispositif désormais baptisé « certification périodique des professionnels de santé ». Et il fait déjà hurler certains syndicats de praticiens libéraux en prévoyant une démarche de certification obligatoire, contrôlée par l'Ordre, soumise à des sanctions administratives et financières, pour tous les médecins.
Sur le papier, l'objectif est de proposer aux professionnels concernés – et pas uniquement aux médecins – de garantir le « maintien des compétences » et l'« actualisation et le niveau des connaissances » par une démarche qualité durable.
Selon le projet d'ordonnance, la démarche rebaptisée « certification périodique » est une « obligation » pour six professions : médecins, sages-femmes, pharmaciens, chirurgiens-dentistes, infirmiers, kinés et pédicures-podologues.
Obligatoire pour tous !
En l'état, le projet précise que chaque professionnel assujetti à cette obligation – libéral ou salarié, en lien avec l'employeur – devra justifier « sur une période de six ans » de son engagement dans cette « démarche » de certification comportant des actions (dont le développement professionnel continu – DPC) couvrant quatre champs : actualisation des connaissances et des compétences ; amélioration de la qualité des pratiques professionnelles ; amélioration de la relation patient ; prise en compte de sa propre santé individuelle par le professionnel. Un décret en Conseil d’État détaillera les actions prises en compte au titre de la certification périodique. « Chaque professionnel choisit les actions qu’il souhaite engager », indique le texte.
Toujours selon ce projet d'ordonnance, la certification périodique s'applique à tous les professionnels « en exercice à compter du 1er janvier 2023 ». Mais contrairement au rapport Uzan, qui recommandait que la recertification ne soit obligatoire que pour les nouveaux diplômés (et sur une base uniquement « volontaire » pour tous les autres praticiens inscrits préalablement à l'Ordre), le texte indique que cette obligation concernera aussi tous les médecins qui sont en exercice avant cette échéance de janvier 2023 ! Ces derniers devront justifier leur engagement dans la démarche de certification périodique « au plus tard le 1er janvier 2032 ». Même si un délai est accordé aux médecins déjà en exercice, il s'agirait donc d'un changement de taille. Pas question de rendre le processus « obligatoire » pour les médecins actuellement en exercice, avait promis Agnès Buzyn.
Un « conseil national » de la certification périodique
La gouvernance se précise aussi. Pour définir la stratégie, la promotion et le déploiement du dispositif, un « Conseil national de la certification périodique » sera instauré. Présidé par le ministre de la Santé (ou son représentant), cet organisme – dont la composition sera fixée par décret – fixera les orientations scientifiques de la certification et « garantit que la procédure sera indépendante de tout lien d'intérêt ».
Ses avis seront rendus publics. Concernant les parcours professionnels à suivre, la Haute autorité de santé (HAS) proposera la méthode d’élaboration des référentiels de certification périodique ; mais ce sont les conseils nationaux professionnels (CNP) qui définiront, pour chaque profession ou spécialité, ces référentiels permettant à chaque professionnel de satisfaire à son obligation.
Compte individuel et contrôle
L'ensemble des actions réalisées seront retracées dans un « compte individuel ». Le texte ne précise pas s'il s'agit du document de traçabilité mis en place par l'Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) mais il renvoie à un décret en Conseil d'État pour définir les modalités d'utilisation et d'accès à ce compte. La gestion de ces comptes individuels sera confiée à une « autorité administrative » également désignée par décret.
Les conditions d’application de ce dispositif seront aussi précisées par voie réglementaire. Plusieurs éléments importants restent à déterminer comme les professionnels de santé « exclus de l’obligation », les conditions et modalités de création, d’utilisation, d’accès et de consultation des comptes individuels, les modalités de financement et surtout les « sanctions administratives et financières » prises en cas de « manquement » du professionnel à son obligation de certification périodique.
Le contrôle du respect de l'obligation de certification périodique est réalisé « par les Ordres », là encore dans des conditions à définir par décret, peut-on lire.
Vigilance ou colère
Pour le Pr Olivier Goëau-Brissonnière, président de la Fédération des spécialités médicales (FSM, qui regroupe les CNP de spécialité hors médecine générale), « l'ordonnance n'esquisse que les grands principes ». « Nous restons vigilants sur la nature des actions, la définition des référentiels, le financement… Cela reste ouvert sur ces points. »
Mais des voix sont plus critiques. MG France se méfie du Conseil national de la certification périodique, au parfum bureaucratique et centralisateur. « Ce conseil va décider des parcours. Il sera piloté par un directeur qui peut décider seul, sans la profession », redoute le Dr Jean-Louis Bensoussan, vice-président de MG France. Le responsable syndical fait valoir que cette démarche devra être pilotée par la profession. « Les actions entrent dans le cadre de leur activité », résume-t-il.
Interrogé par « Le Quotidien », le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF, partage la même crainte. « Avec cette ordonnance, tout est possible, y compris le pire ! Il faut éviter un contrôle continu de la part de n'importe quel acteur et il est hors de question qu'on aille repasser des examens dans les facultés ».
De son côté, l'UFML-S, qui vient d'être reconnue représentatif, ne cache pas sa colère. Le syndicat du Dr Jérôme Marty estime que ce texte signe le mépris et la méconnaissance totale de la profession « par les complets gris du ministère ». Pour l'UFML, il est inconcevable de mettre en place une certification obligatoire, y compris pour les praticiens en exercice, sans mesures fortes d’attractivité pour la médecine libérale. « Que veut certifier le ministère ? Des médecins libéraux dont la moyenne d'âge est de 54 ans ? Des médecins dont le taux de suicide est supérieur de 2,5 fois par rapport à celui de la population générale ? Ils veulent certifier quoi ? Un mort ? »
Pas de surrisque pendant la grossesse, mais un taux d’infertilité élevé pour les femmes médecins
54 % des médecins femmes ont été victimes de violences sexistes et sexuelles, selon une enquête de l’Ordre
Installation : quand un cabinet éphémère séduit les jeunes praticiens
À l’AP-HM, dans l’attente du procès d’un psychiatre accusé de viols