« J’ai entendu les craintes » : comment Touraine aménage la loi de santé pour ménager les médecins

Publié le 09/03/2015
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Crédit photo : S. TOUBON

La ministre de la Santé a présenté ce lundi matin les principaux aménagements qu’elle s’apprête à apporter au projet de loi de santé pour tenter de calmer la colère de la profession.

À quelques jours de la manifestation nationale des internes et des médecins libéraux à Paris, dimanche prochain, contre sa réforme, Marisol Touraine a affiché sa volonté de garder le cap tout en jouant la carte de l’apaisement sur quelques sujets conflictuels. « Nous avons besoin des médecins et de tous les professionnels de santé pour moderniser notre système », a attaqué la ministre de la Santé, réaffirmant les principes intangibles de la « liberté totale d’installation » et de libre choix du médecin par les patients. « J’ai entendu les craintes d’une partie des professionnels de santé, je ne veux pas les occulter », a affirmé Marisol Touraine.

Un chapitre ambulatoire

Le gouvernement présentera des amendements avant l’examen du projet de loi par la commission des affaires sociales le mardi 17 mars sur l’ensemble des sujets de crispation. Ces aménagements reprendront des propositions des groupes de travail mis en place par le ministère de la Santé avec les médecins.

« Il n’y aura pas d’étatisation, cela n’a jamais été l’objet de la loi », a déclaré Marisol Touraine.

Très critiqué par les médecins qui redoutaient d’être placés sous la coupe des ARS, le terme de service territorial de santé au public (STSP) sera remplacé par celui de « communautés professionnelles territoriales de santé ». Le virage ambulatoire réclamé par les médecins libéraux devrait trouver sa place dans un titre de la loi. « Les articles seront réécrits et regroupés dans un chapitre spécifique pour consacrer la place des soins primaires et du médecin traitant », assure Touraine.

Pas de dépassement dans le service public hospitalier

L’absence de dépassements d’honoraires fera bien partie des conditions sine qua non auxquelles devront s’astreindre les établissements de santé s’ils souhaitent participer aux missions de service public hospitalier (SPH). En contrepartie, l’appartenance au SPH n’aura aucun impact sur les autorisations d’activité de soins. Cette garantie sera explicitement inscrite dans la loi.

L’évolution sans concertation de certaines compétences médicales étant froidement accueillies par les médecins, Marisol Touraine a apporté des précisions. La vaccination sera confiée aux pharmaciens dans le cadre d’une simple expérimentation. « Une telle délégation s’inscrira dans le cadre d’une équipe de soins dont la coordination sera pilotée par le médecin », ajoute la ministre de la Santé.

Le texte sera réécrit pour préciser que l’exercice en pratiques avancées (avec notamment les infirmières cliniciennes) ne pourra se faire qu’en équipe de soins.

Vers un tiers payant généralisé... fin 2017

Mais c’est surtout sur le dossier explosif du tiers payant que la ministre de la Santé a ajusté son calendrier et la méthode.

Marisol Touraine a certes confirmé l’extension de la dispense d’avance de frais à tous les Français d’ici à la fin de l’année 2017. Mais il s’agira d’une valse en trois temps.

Dès le 1er juillet 2015, le tiers payant s’appliquera aux bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé (ACS). Le 1er juillet 2016, la dispense d’avance de frais s’appliquera à tous les patients couverts à 100 % par l’assurance-maladie. Seront concernés, en plus de la CMU-C et ACS, les patients en ALD et les femmes enceintes. Enfin, « dès le 1er janvier 2017, le dispositif sera mis à la disposition des professionnels et ils pourront le proposer à tous leurs patients », a précisé Marisol Touraine. Pas d’obligation officielle donc...

Dans un numéro d’équilibriste, la ministre a déclaré que le tiers payant serait « un droit pour l’ensemble des Français à la fin de l’année 2017 » sans évoquer une seule fois les obligations des médecins et en réaffirmant qu’il n’y aurait pas de sanctions contre les praticiens récalcitrants. « Je suis sûre que le tiers payant s’imposera rapidement comme une évidence », a-t-elle affirmé.

La ministre de la Santé croit toujours à un dispositif simple, rapide et fiable mis en place par l’assurance-maladie et les complémentaires malgré les échecs enregistrés depuis un an. « Les médecins devront n’avoir qu’un seul geste à faire », a-t-elle plaidé.

Garantie de paiement

Pour rassurer les médecins, Marisol Touraine a apporté une « garantie de paiement aux professionnels », dans un délai de 7 jours maximum pour une FSE (il est fixé à 5 jours dans la convention aujourd’hui).

Les caisses primaires seront tenues de rendre public leur délai moyen de paiement. Le tiers payant ne coûterait presque rien et pourrait même faire gagner de l’argent aux médecins, si l’on en croit le ministère de la Santé. « Hors délai, l’assurance-maladie paiera des pénalités de retard », a affirmé Marisol Touraine. Impossible de savoir combien. Le ministère renvoie ce point au débat parlementaire et à un futur décret.

Quant aux contraintes techniques qui obèrent la réussite du tiers payant, ils sont balayés. « Il pèse sur l’assurance-maladie et sur les complémentaires une obligation de résultats », a martelé Marisol Touraine. Aucune solution technique n’a été trouvée pour la récupération des franchises, notamment.

Le gouvernement a par ailleurs rappelé les enjeux de la future loi qui font consensus pour renforcer la prévention (contre le tabagisme, l’obésité, l’alcoolisation des jeunes, le dépistage des MST...) et améliorer l’organisation du système de santé (médecin traitant de l’enfant de moins de 16 ans, numéro d’appel national de garde, service d’information en santé...).

Vers une conférence nationale de santé

Alors qu’une très grande majorité des médecins (91%) demandent le retrait ou la réécriture partielle du projet de loi de santé, selon le sondage réalisé par Ipsos pour « le Quotidien », la ministre de la Santé tente de garder le cap dans la tempête. « Je n’ignore pas qu’une manifestation est prévue le 15 mars et qu’elle aura lieu », a-t-elle affirmé, revendiquant son « esprit de dialogue et d’apaisement ». « La concertation ne s’arrêtera pas avec l’examen du texte au Parlement », a ajouté Marisol Touraine.

Selon nos informations, le Premier ministre Manuel Valls devrait annoncer ce mardi, lors d’un déplacement dans un centre médical parisien, la tenue d’une conférence nationale de santé pour prolonger la réflexion avec la profession sur l’avenir du système de santé.

Christophe Gattuso

Source : lequotidiendumedecin.fr