Pour le Dr Michel Strijbos (Wilrijk, Belgique) qui animait une session sur le burn out des oncologues à l’occasion du congrès 2019 de l’ESMO (European Society of Medical Oncology), « parmi toutes les spécialités, l’oncologie tient une place particulière du fait de la confrontation quotidienne avec des pathologies particulièrement graves et hélas bien souvent encore mortelles. En outre, l’histoire naturelle de la maladie impose aux oncologues des contacts suivis voire très proches avec les patients et leurs familles ce qui les rend particulièrement sensibles aux échecs thérapeutiques ».
C’est en partie pour ces raisons que le taux de burn-out est particulièrement élevé chez les oncologues. Ainsi, une étude présentée à l’ESMO concluait en 2017, que 71 % des moins de 40 ans souffraient d’au moins un signe de burn-out (50 % de dépersonnalisation, 45 % d’épuisement émotionnel et 35 % de signes de non accomplissement personnel). Une étude présentée cette année à l’ESMO met aussi en lumière l’impact de cette spécialité médicale chez les infirmières des services d’oncologie avec une incidence similaire des signes.
Des patients demandeurs
« Ce qui a changé au cours des dernières années, c’est que de plus en plus les patients s’informent sur Internet et on ne peut pas les en blâmer, ce serait paternaliste. Mais de ce fait, ils sont en demande de traitements dont ils ont entendu vaguement parler et qui n’ont parfois pas d’AMM dans leur indication, voire dont l’efficacité n’a pas été prouvée, poursuit l'oncologiste de l'hôpital AZ Klina. « Savoir dire non aux demandes irraisonnables ne s’apprend pas en un jour et des réunions régulières de service peuvent permettre aux plus jeunes de développer des arguments à exposer aux patients », explique le Dr Strijbos.
Le dilemme devint cruel lorsque les molécules en question sont disponibles sur le marché, mais que tous les patients qui pourraient potentiellement en bénéficier n’y sont pas éligibles : certains pour des questions purement médicales (le traitement pourrait aggraver leur état), d’autres en raison du rapport bénéfice attendu/risque/coût du traitement.
Comme le souligne le Dr Scott Berry (Hamilton, Canada), « la rationalisation des soins a fait son entrée dans le domaine de l’oncologie. Cet universitaire, chef du service oncologie résume ainsi l'alternative : « Même si le médecin doit avant tout choisir le meilleur traitement pour son patient, il doit aussi prendre en compte l’impact économique d’un choix qu’il impose à la société tout entière dans les pays où le remboursement existe. Laisser un médecin seul face à ce choix et à ses conséquences peut le conduire rapidement à l’épuisement car il est souvent contraire à son éthique personnelle ».
Une responsabilité sociétale
La question du coût des traitements oncologiques doit en effet être posée désormais, autant dans les pays développés où les dépenses de santé augmentent beaucoup plus vite que le PIB, que dans les pays en développement où l’accès à ces traitements n’est possible que pour certaines catégories de personnes. Ainsi, alors que la hausse globale des coûts de santé est de 5 % par an aux États-Unis, celle des soins oncologiques est de 10 %.
En 2018, la FDA a approuvé 59 nouveaux médicaments, dont 18 anti-cancéreux. C’est aussi dans le domaine de l’oncologie que les extensions d’AMM sont les plus fréquentes pour les médicaments qui coûtent en moyenne 100 000 $ par an. Mais les oncologues sont-ils responsables de cette envolée des coûts qui sont portés par la société tout entière ?
Les avancées thérapeutiques en oncologie se multiplient depuis quelques années. Mais l’investissement en recherches fondamentales et cliniques est majeur. Ainsi, 555 000 patients ont bénéficié des traitements les plus récents de façon gratuite au cours des 10 dernières années car ils ont été inclus dans des essais cliniques.
Outre cet investissement, les laboratoires pharmaceutiques participent chaque année aux deux « grandes messes » les congrès ASCO et ESMO qui réunissent respectivement 40 000 et 26 000 oncologues dont les frais sont en grande partie pris en charge. Est-il éthique que ces dépenses soient prises en charge par la société par le biais du financement des assurances santé publiques et privées, s'interrogent certains ? Et est-il éthique que l’on demande à chaque oncologue au lit du malade de cautionner ce système, se demandent d'autres. Pour le Dr Berry « c’est l’une des origines du burn-out des oncologues sur laquelle un travail de réflexion doit absolument être entrepris car elle concerne tous les médecins mais aussi tous les représentants politiques ».
Quelles solutions pour résoudre le rationnement des soins ?
Pour éviter que l’oncologue soit seul au lit du malade à prendre une éventuelle décision de rationnement des soins et qu’il en soit déstabilisé dans sa pratique quotidienne, la mise en place de réunions régulières avec d’autres oncologues permet d’avoir un avis extérieur sur la relation de soins et les traitements. Deux autres approches médico-économico-éthiques ont été présentées à l’ESMO.
Au Canada, les médecins sont engagés dans les processus d’AMM des médicaments à visée oncologique par le biais du Pan-Canadian Oncology Drug Review Process (pCORD), dans lequel des praticiens participent à la revue des études, aux délibérations et apportent régulièrement leur retour clinique si nécessaire. « Ils jouent désormais un rôle essentiel car leur expertise permet d’apprécier la faisabilité de l’implantation d’un nouveau médicament, et ils contribuent à évaluer un score de bénéfice clinique qui permet de proposer le traitement aux patients les plus potentiellement répondeur ou à ceux qui en tireront le bénéfice le plus important », estime le Dr Berry. « Une fois les scores mis en place, les oncologues de terrain peuvent s’y référer pour rationaliser les traitements. »
Autre expérience proposée dans certains hôpitaux suisses, la création de comités médico-économico-éthiques calqués sur les réunions de concertations pluridisciplinaires (RCP). Dans ces comités, des oncologues se réunissent avec des économistes de la santé, des spécialistes de l’éthique et de représentants des patients afin de discuter pour chaque patient des différentes opportunités thérapeutiques et de leur impact clinico-économique. « Fort de la décision du comité, les oncologues peuvent dialoguer plus facilement avec les patients, tout en s’exonérant personnellement de la décision prise. Déchargés de la pression du choix thérapeutique, la relation avec le patient peut restée fondée sur la confiance », conclut le Dr Berry.
Doctor, you need hel. Burn out in practising oncologists and way ti tackel it. Psychosicial support for oncologists : wben, where and how ?
Michel Strijbos Bedside rationing. Responsabilities of the physician. Bill Evans et Scott Berry, Hamilton, Ontario, Canada.
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