LE QUOTIDIEN : Vous dénoncez un « détricotage » de la protection des salariés, à la faveur de la réforme de la médecine du travail. Pourquoi ?
Dr BERNARD SALENGRO : Parce qu'on nous demande de conseiller les salariés et qu'on ne va plus nous permettre de les voir ! C’est le problème de fond. Ils seront suivis tous les cinq ou six ans. On ne les connaîtra plus, ce texte éloigne les salariés des médecins du travail.
Par ailleurs, la suppression de l’aptitude n'est pas normale. Elle permet au salarié de ne pas raconter à l'employeur son histoire de santé, qui relève du secret médical. Désormais, il reste seulement une aptitude de sélection pour les postes à risques, qui seront déterminés on ne sait comment. De plus, il faudra tenir compte du risque pour les tiers – les collègues, les clients, les consommateurs… Sauf que cela est contradictoire avec une philosophie de protection, car la personne ne sera plus en confiance, dans la crainte de perdre son emploi. Et puis on ne dira plus "apte", mais "non inapte". Tout ceci est de l’enfumage.
N’est-ce pas logique de recentrer la médecine du travail sur les salariés à risque ?
Pour un énarque, oui. Sauf que les politiques n’ont pas compris que les visites médicales systématiques permettaient de repérer les maladies liées aux nouveaux produits chimiques, aux nanomatériaux, aux formaldéhydes, mais aussi les risques psychosociaux ou les troubles musculosquelettiques.
Alors certes, on peut toujours espacer certaines visites, comme celles tous les six mois pour les personnes exposées au bruit. Mais il faut garder la visite d’embauche et voir ensuite les salariés tous les deux ans ! Là, on inverse le rôle du médecin du travail : c’était un protecteur, il devient un contrôleur pour le salarié. Or les systèmes de management sont de plus en plus pervers et intrusifs. On doit protéger les gens pour qu'ils n'y laissent pas leur santé. Ce n’est pas comme ça que l’on va attirer les jeunes médecins…
Justement, la solution ne serait-elle pas d'améliorer l'attractivité de la médecine du travail ?
Bien sûr, mais c'est un problème de volonté politique. On nous dit que les jeunes ne sont pas attirés, mais on ne leur apprend pas la richesse de la profession, donc ils ne choisissent pas cette spécialité à l’internat. Les universités ont créé des chicanes et ne facilitent pas non plus la reconversion des praticiens qui veulent devenir médecins du travail. Pour un cardiologue ou un psychiatre, c’est kafkaïen.
La solution serait pourtant simple. Il suffit d'un ou deux arrêtés changeant les passerelles et les formations, et c’est réglé. L’an dernier, 94 médecins voulaient se reconvertir dans la médecine du travail en Ile-de-France ; les universitaires n’en ont gardé que 21, sans raison valable.
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