Un « piratage organisé » au potentiel thérapeutique

Contre l'antibiorésistance, la stratégie « tout ARN » des phages

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Publié le 11/07/2016
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Crédit photo : PHANIE

Les phages, ces virus qui infectent les bactéries, seront-ils la solution de demain au péril de l'antibiorésistance ? C'est le pari que font de plus en plus de scientifiques et de chercheurs, comme l'équipe de Laurent Debarbieux, à l'Institut Pasteur.

La phagothérapie, découverte par le pasteurien Félix d'Hérelle au début du XXe siècle puis délaissée fin des années 1980 pour les antibiotiques, est en train de sortir de l'oubli.

À l'aide des technologies de dernière génération, les chercheurs français en collaboration avec l'équipe menée par Rob Lavigne à l'université de Louvain viennent de décrire avec précision dans « Plos Genetics » que toute la stratégie d'infection du bactériophage repose sur le métabolisme de l'ARN.

Le métabolisme de l'ARN au cœur de la stratégie

À la fois génétique (séquençage ARN) et métabolique, cette étude était attendue car elle décrypte pour la première fois au niveau moléculaire les mécanismes d'action qu'utilise le bactériophage pour détruire la bactérie hôte.

Jusqu'à présent, les connaissances sur le cycle viral étaient limitées à petit nombre de bactériophages, qui infectent principalement la bactérie E. Coli. Ici, c'est avec un phage connu pour son potentiel thérapeutique (appelé PAK_P3) contre la bactérie pathogène Pseudomonas aeruginosa que les scientifiques ont mené leur démonstration.

Les scientifiques révèlent que le métabolisme de l'ARN est présent à chaque étape du processus opératoire d'infection du phage, depuis le piratage de la cellule jusqu'à son propre programme de multiplication.

Ils ont d'abord montré qu'au cours de son cycle infectieux, le phage est capable de déstabiliser fortement la cellule, en dégradant précocement les ARN qu'elle produit. Les nucléotides de pyrimidine, ainsi libérés, sont réutilisés par le phage pour son propre compte. À l'inverse, la synthèse de l'ARN du bactériophage est particulièrement active, traduisant une forte activité liée à sa propre multiplication.

La recherche sur un « médicament très spécial »

Une autre découverte est plus étonnante. Les scientifiques révèlent que, pour réguler sa propre expression génétique, le bactériophage fait appel à des mécanismes impliquant des fragments d'ARN appelés « petits ARN » et « ARN antisens ». Ces petits outils leur permettent de piloter finement les différentes étapes de production des nouvelles particules virales.

Ces travaux fondamentaux relancent la recherche sur les phages qui avait été mise entre parenthèses. C'est une démarche importante pour relancer la phagothérapie. Aujourd'hui, comme l'Institut Pasteur le souligne, « la nature virale de ce traitement anti-bactérien et l'absence de connaissances précises constituent des obstacles au recours à la phagothérapie dans un cadre médical ». Les phages, assimilés à des médicaments et soumis au même cadre réglementaire, ne sont pourtant pas des médicaments comme les autres.

PAK_P3 est un nouveau groupe de virus prometteurs à visée thérapeutique contre Pseudomonas aeruginosa. « Ces travaux devraient inciter à la caractérisation d'autres bactériophages à potentiel thérapeutique, conclut Laurent Debarbieux. Nous espérons qu'ils contribueront, à terme, à rendre de nouveau possible en France l'utilisation de ces virus à des fins médicales ».

Le financement des essais cliniques pose problème mais aussi la production, comme l'explique le Dr Nicolas Dufour, réanimateur et chercheur dans l'unité de Laurent Debarbieux à l'Institut Pasteur « le processus GMP (Good Manufacturing Practices) est très exigeant. Pour l'étude Phagoburn menée chez des brûlés, il a fallu dégager 3 millions d'euros pour la production des phages ». Un groupe de scientifiques, dont l'Institut Pasteur, est en train de travailler avec l'agence du médicament, l'ANSM, pour savoir comment adapter le cadre réglementaire aux phages.

 

 

 

 

 

Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du médecin: 9512