C’est incontestablement la surprise de l’année 2017. Et pourtant… Lorsque, le 17 mai, son nom fut annoncé pour succéder à Marisol Touraine comme ministre de la Santé, le Pr Agnès Buzyn était déjà connue d'une grande partie de la profession.
Depuis quinze ans en effet, cette hématologue de renom gravite parmi les décideurs du secteur. Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), Institut national du cancer (INCa), Haute autorité de santé (HAS)… ce parcours météorique devait-il forcément passer par la case Ségur ? Sur le perron de l’Élysée, on s’attendait plutôt à voir sortir le nom du Dr Olivier Véran, le jeune neurologue hospitalier cheville ouvrière « santé » du candidat Macron, finalement honorablement recasé comme rapporteur général du PLFSS.
Novice en politique, elle apprend vite
Emmanuel Macron pensait-il déjà à cette hématologue lorsque, sur France 2 le 6 avril 2017, il annonça qu’il avait l’intention de « nommer un médecin à la Santé » ? Le fait est qu’il a tenu parole.
Le cas Buzyn demeure pourtant unique en son genre. Et c’est peut-être pour cela qu’on ne l’attendait guère pour le job. Parmi les médecins qui, nombreux avant elle, sont passés dans ce ministère exigeant, tous étaient déjà connus du grand public, ayant au moins un pied dans la politique ou dans l’humanitaire. Reconnue par ses pairs, Agnès Buzyn doit encore se faire un nom dans l’opinion. Et ce léger handicap produisait encore ses effets six mois après sa nomination, si l’on en croit un sondage Odoxa montrant début novembre que près des deux tiers de nos concitoyens ne l'identifient guère.
La ministre n'hésite pourtant pas à monter au front. C’est en femme davantage qu’en technicienne qu’elle s’exprime quand, alors que la campagne « balance ton porc » atteint le monde de la santé, elle fait état de « comportements très déplacés dans [s]on milieu professionnel ». Peu de temps auparavant, c’est en médecin qu’elle s’impose en mouchant en plein hémicycle un député communiste qui lui conseillait de visiter les hôpitaux à l’improviste. La réplique fuse, cinglante : « Contrairement à vous, je n’ai pas besoin de visiter les hôpitaux. J’y ai passé 25 ans de ma vie ».
L’incident montre que cette novice en politique s'est glissée rapidement dans les habits ministériels, jusqu’à paraître rompue à l’exercice des questions au gouvernement… Il y a dans sa détermination quelque chose de son illustre prédécesseur, Simone Veil, dont elle fut la belle fille. Quitte à se parer des arguments d’autorité quand il faut : dans le dossier emblématique de l’extension de l’obligation vaccinale, c'est elle qui « siffle la fin de la récréation ».
Plus à son aise sur les vaccins que dans l'affaire Levothyrox
Le dossier traînait depuis des mois sur le bureau de Marisol Touraine. En quelques semaines, il fut tranché. Aussitôt nommée, la nouvelle ministre annonce une « réflexion » autour de l’obligation vaccinale, orientation reprise par le Premier ministre dans son discours de politique générale. Le débat autour des 11 vaccins de l’enfant sera néanmoins très vif, occasion pour la ministre de renvoyer régulièrement les « antivax » et les sceptiques dans leurs buts.
Si elle se montre offensive sur la hausse programmée du prix du tabac, on la découvre moins à l’aise sur un dossier chausse-trappe qui s’invite dans le débat public, le Levothyrox. C’est d'abord l’ex-patronne de la HAS qui intervient, tentant de rassurer les patients inquiets avec la rationalité d’une scientifique. Mais c’est la femme politique qui prendra le relais en lâchant du lest : le retour en pharmacie de l’ancienne formule réclamée par les protestataires…
Son credo, le pragmatisme
C’est surtout par son sens de l'efficacité qu’elle surprend. Quitte à revendiquer un réalisme tout macronien au moment de trancher : « Ma décision relève du pragmatisme » explique-t-elle le 24 octobre dans nos colonnes pour justifier son renoncement à mettre en œuvre le tiers payant généralisé obligatoire au 30 novembre.
Après avoir soufflé le chaud et le froid sur ce dossier, cet arbitrage est pour beaucoup dans le retour de l’apaisement entre Ségur et la profession. Mais avec elle, c’est donnant-donnant. Agnès Buzyn relance les dossiers qui fâchent. La recertification ? Elle veut mener à bien ce chantier. La permanence des soins ? Elle estime que les médecins libéraux ne font plus assez de gardes…
La méthode vaut aussi pour le secteur hospitalier. Elle donne des gages aux cliniques avec l’abandon de la dégressivité tarifaire. Mais n’hésite à tacler les établissements sur leur durée de séjour. À l’intention de l'ensemble des blouses blanches, elle lâche, un rien provocatrice, que 30 % des actes seraient inutiles !
Cabinet de poche et task force
Effet Macron encore ? Agnès Buzyn étonne par le rythme qu’elle s'impose, avec trois fois moins de conseillers ministériels que ses prédécesseurs. Tous les lundis, un comité de direction réunit autour d'elle son cabinet, les directeurs d'administration centrale du ministère et le patron de l'assurance-maladie Nicolas Revel.
Cette task force doit permettre de réformer vite. Autant Roselyne Bachelot et Marisol Touraine avaient pris tout leur temps pour accoucher de monuments législatifs (HPST, loi de santé), autant Agnès Buzyn semble pressée d'agir, en commençant par les trois grands chantiers qu’elle s’est fixés – prévention, innovation et télémédecine.
Sa stratégie nationale de santé est menée tambour battant : concertation du public en novembre, décret avant la fin de l’année. Agnès Buzyn ne promet pas le grand soir puisqu’aucune « loi Buzyn » n’est a priori attendue. Mais elle sait qu’elle sera jugée à sa capacité à déverrouiller le système.
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme
Procès Le Scouarnec : la Ciivise appelle à mettre fin aux « silences » qui permettent les crimes