Le Pr Hervé Chneiweiss, chercheur neurologue au CNRS et président du comité d'étique de l'INSERM, explique pourquoi le projet de greffe du Pr Sergio Canavero ne peut qu'être que sévèrement critiqué.
La défiance autour de la greffe de tête tiendrait à un facteur « beurk » (ou « yuck » en anglais), minimise le Pr Sergio Canavero de l'université de Turin faisant référence à l'imaginaire associé au savant fou Frankenstein et tentant un parallèle avec les débuts difficiles de la greffe de visage.
Le neurochirurgien italien soutient que son projet de greffe de tête HEAVEN, vertement tancé par ses pairs, est « techniquement faisable » et peut « aider les patients sans autre choix de traitement curatif », écrit-il avec le Pr Xiaoping Ren dans le dernier numéro de « AJOB Neuroscience ».
La vérité est toute autre pour la communauté scientifique internationale. « C'est une honte, réagit le Pr Hervé Chneiweiss, neurologue, directeur de recherche CNRS et président du comité d'éthique de l'INSERM. Il abuse de la crédulité d'un grand nombre de gens paralysés. Il n'y a aucune crédibilité scientifique à ce projet et cela va à l'encontre de tous les principes d'éthique. Sans base scientifique, il ne peut y avoir de consentement éclairé. Le principe de non-malfaisance est non respecté, compte tenu du risque extrêmement élevé de décès. Le Pr Canavero n'arrive à financer ses folies qu'en faisant beaucoup de tapage et de théâtre. »
Aucune rationalité à la fusion axonale
Le chirurgien italien n'est pourtant pas sans connaître la nature des défis scientifiques et l'inquiétude suscitée. Des quatre problèmes listés dans son papier, - faisabilité de la reconnexion spinale, survie de la tête à l'ischémie, l'adaptation psychologique et le rejet immunitaire -, le premier, « la clef de voûte du projet » à ses yeux, est résolu selon lui avec son protocole GEMINI.
« C'est de l'utopie, explique le Pr Chneiweiss. Il n'y a aucune rationalité à tout cela. Pour cette intervention, il faut imaginer un moyen qui permette une coupure exacte et précise de centaines de milliers d'axones, et un moyen de parvenir à un alignement parfait avec d'autres axones dans le même axe et pour une même taille de moelle épinière. Tout cela à une précision au millième de mm près… Aujourd'hui, au sein du même tissu, on n'arrive pas à faire repousser les axones chez des traumatisés médullaires. »
Que penser des expérimentations « miraculeuses » publiées chez le chien ou le rat ? « Il y aurait même des vidéos !, poursuit le Pr Chneiweiss. Il n'y a pas de preuve de démonstration chez l'animal hormis les siennes, et jamais il n'y a eu d'élément concernant la survie ». Sans compter que ce qui peut marcher chez l'animal, n'est pas forcément transposable à l'homme. « Cela a été le cas par exemple de la famille d'anticorps NOGO », illustre le Pr Chneiweiss.
Difficile de se soustraire aux lois de bioéthique
Concernant l'éthique, le Pr Canavero n'est pas à une contradiction près, défendant le caractère de bienfaisance du projet tout en saluant l'approche « pragmatique » de ses associés chinois loin des « opinions » occidentales, estime-t-il. Les différences pointent vite entre les partenaires. Car si les Chinois disent ne pas vouloir s'occuper d'immortalité ni de transhumanisme, Sergio Canavero estime que « c'est l'étape suivante logique » et que d'autres applications peuvent s'envisager comme le changement de genre ou les raisons esthétiques.
Le Pr Canavero a trouvé refuge en Chine, à la réglementation plus souple qu'ailleurs. « Je ne doute pas que les autorités chinoises vont rapidement réagir, explique le président du comité d'éthique de l'INSERM. La Chine veut occuper une place de premier rang dans le domaine scientifique avec un investissement de 40 milliards par an en recherche et développement. La Chine n'est plus en dehors du jeu international en matière de lois bioéthiques. Pour la modification du génome, l'un des domaines les plus chauds qui soit, sur les 10 essais cliniques dûment enregistrés dans Clinicaltrial, neuf sont chinois. »
La greffe de tête est-elle à jamais irréaliste ou pourrait-elle s'envisager dans un avenir plus lointain ? « Dans l'état actuel des connaissances, cela ne semble pas réaliste, estime le Pr Chneiweiss. Pour l'instant, on estime raisonnable de nourrir des espoirs de trouver d'ici 10 ans des molécules capables de stimuler ou d'aider à la repousse axonale chez les traumatisés médullaires. Plusieurs approches existent, via des systèmes d'hydrogels ou des molécules aussi simples que le bleu de méthylène ».
54 % des médecins femmes ont été victimes de violences sexistes et sexuelles, selon une enquête de l’Ordre
Installation : quand un cabinet éphémère séduit les jeunes praticiens
À l’AP-HM, dans l’attente du procès d’un psychiatre accusé de viols
Le texte sur la fin de vie examiné à l'Assemblée à partir de fin janvier