En ce dimanche de fin septembre, quelques touristes et des locaux apprécient les dernières heures de l’été, attablés pour leur repas de midi aux terrasses des restaurants du minuscule port de Skala Sykaminias, au nord de l’île de Lesbos. Mais l’atmosphère n’est pas des plus détendues... Il y a environ une heure, ce décor de carte postale a été quelque peu perturbé par l’arrivée, à une centaine de mètres des tables, d’une embarcation de fortune, déchargeant des dizaines de migrants en provenance de Syrie, d’Afghanistan, du Bangladesh… embarqués sur la côte Turque, située à quelques dizaines de kilomètres de l’île Grecque.
Le flot de bateaux qui arrivent à Skala Sykaminias et à Molyvos – principale station balnéaire située 20 km au nord – semble croître sans relâche depuis le début de l’été. « Avant les débarquements n’avaient lieu que la nuit, ils ont désormais lieu de jour comme de nuit – presque un toutes les heures », observe Anna Panou, psychologue pour Médecins du monde (MdM), la principale association humanitaire offrant des soins médicaux aux migrants dans les deux principaux camps de réfugiés de l’île.
Une autre embarcation est d’ailleurs déjà en vue. « Nous avons des jumelles, vous les voulez ? », proposent deux touristes scandinaves. Loin d’être de simples témoins gênés par le spectacle inconfortable de la misère, les touristes sont en première ligne pour réceptionner les migrants. S’ils contactent fréquemment MdM avant d’arriver sur l’île, pour se renseigner sur les besoins actuels en médicaments et autres ressources, ils sont également nombreux à se rendre en personne aux points d’arrivées, pour distribuer bouteilles d’eau, casquettes et vêtements secs. Le petit Elias, 10 ans, en route depuis de Damas, en Syrie, avec sa mère et sa sœur, a reçu pour sa part un t-shirt du FC Barcelone à son arrivée. Dur dur pour ce supporteur du Réal Madrid... mais c’est le prix à payer pour être au sec.
Après l’euphorie du débarquement, c’est la douche froide pour les migrants. Il s’agit en effet de parcourir – pour la grande majorité, à pied – une soixantaine de kilomètres, pour rejoindre les camps de Moria ou de Kara Tepe. C’est là qu’ils pourront être enregistrés et recevoir un laisser-passer pour la Grèce, de six mois pour les Syriens, un mois pour les non-Syriens. Vu la hausse exponentielle des arrivées, le processus d’enregistrement s’est considérablement simplifié. Certains sont capables de quitter l’île dans les 24 heures pour rejoindre Athènes, sur l’un des deux navires affrétés par le gouvernement, capables de transporter environs 2 500 passagers chacun. Encore faut-il que les migrants puissent payer les 60 euros que coûte la traversée – un coût supérieur à celui demandé aux touristes…
60 kilomètres à pied, ça use
Après avoir risqué leur vie en mer, le périple des migrants est donc loin d’être achevé. Sur les bords de la route sinueuse, jonchée de détritus, des jeunes interpellent les voitures ; des adultes marchent avec leurs enfants sur leurs épaules, comme ce père qui dit avoir transporté sa fille handicapée sur son dos depuis Falloujah, en Irak. Des vieillards, épuisés par des kilomètres de pente raide, par une chaleur de plus de 30 degrés, font halte sous un bosquet. « La plus vieille personne que j’ai rencontrée était une grand mère que les petits enfants refusaient de laisser derrière eux. C’est difficile à croire, mais son certificat de naissance datait de 1915, s’exclame le Dr Nikitas Kanalis, président de MdM Grèce. Quand je lui ai demandé pourquoi elle était venue, elle m’a répondu : "c’est un nouveau départ" – quel optimisme ! ».
300-400 consultations quotidiennes
Dans les deux camps de l’île, MdM tente de répondre aux besoins médicaux de chacun avant qu’ils ne reprennent la route, à raison de 300 à 400 consultations par jour. Les quatre médecins, deux infirmiers, le travailleur social, et Anna – la psychologue au visage angélique et bienveillant – sont assistés par de nombreux bénévoles. Mais il y a un manque cruel de traducteurs, qui ne sont que trois.
Parmi les pathologies rencontrées, les équipes font état de troubles « classiques » des réfugiés : séquelles de violences subies dans les pays d’origine, ou sur le parcours migratoire, avec des fractures non-consolidées, des fracas osseux, mais également des séquelles d’armes chimiques, avec des délabrements cutanés et des phanères. Il y a aussi les accidents du parcours lui-même : débuts de noyade, plaies et hématomes, cloques et épines d’oursins qui empêchent de marcher, même les plus vigoureux…
Enfants non-accompagnés
Les mineurs non-accompagnés – actuellement au nombre de 15 et âgés de huit à 16 ans – sont hébergés dans un complexe à part. « Le plus jeune voyageur non-accompagné que nous avons rencontré avait six ans », précise Anna, dont la mission principale est de prendre en charge ces jeunes, particulièrement vulnérables. « Le problème des enfants, c’est qu’ils ont un sentiment de toute puissance. Ils n’ont aucune conscience des dangers qui peuvent les attendre sur leur parcours. Mon rôle c’est de les préparer, de leur expliquer qu’il existe des structures d’accueil pour mineurs très bien organisées en Grèce ». Mais les enfants ne veulent qu’une chose : reprendre la route au plus vite. « Ils sont généralement envoyés en avance par leurs familles, qui pensent qu’ils auront plus de chance de recevoir le droit d’asile, pour demander une réunification après coup. Ils portent cette lourde responsabilité. »
Face aux récits et aux drames quotidiens, l’équipe de MdM parvient pourtant à garder un moral d’enfer. « On a besoin de rire, sinon on ne tient pas. C’est pour notre propre santé mentale », confie un des infirmiers, Christos Doulgeris, dont la bonne humeur est communicative. Le Dr Kanalis renchérit : « J’ai appris lors d’une de mes premières missions, il y a 20 ans, qu’il ne faillait jamais pleurer ; ces gens ont besoin de notre aide, pas de notre sympathie. Vous pouvez pleurer tant que vous voulez la nuit dans votre lit, mais sur le terrain, on a besoin de votre expertise ».
Le CCNE invite la médecine à prendre ses responsabilités face aux vulnérabilités qu’elle crée
Transition de genre : la Cpam du Bas-Rhin devant la justice
Plus de 3 700 décès en France liés à la chaleur en 2024, un bilan moins lourd que les deux étés précédents
Affaire Le Scouarnec : l'Ordre des médecins accusé une fois de plus de corporatisme