À SITUATION EXCEPTIONNELLE, dispositif exceptionnel. « Le contexte est particulier : une catastrophe de très grande ampleur dans un pays qui est l’un des premiers pays d’adoption pour les Français, il fallait faire quelque chose », souligne Thierry Baubet, psychiatre à l’hôpital Avicenne de Bobigny et responsable de la Cellule d’urgence médico-psychologique de Seine-Saint-Denis (CUMP 93). Depuis l’annonce du tremblement de terre, les parents en cours d’adoption, « inquiets » et « angoissés », demandaient le rapatriement des enfants qui avaient survécu au drame. Les autorités ont répondu à leur demande. « La France entend traiter les procédures d’adoption dans le plein respect de ses engagements internationaux, notamment de la Convention de La Haye sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, et de la légalité haïtienne », a souligné le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Bernard Valéro. Parmi les 914 procédures officiellement enregistrées, 300 et 400 sont considérées comme terminées. Les enfants vont être rapatriés dans les jours qui viennent.
Sollicité par les autorités, le Dr Baubet, qui est intervenu avec le CUMPF auprès des familles haïtiennes qui s’étaient réunies à la Bourse du travail de Saint-Denis puis auprès des Français rapatriés d’Haïti, a imaginé un dispositif spécifique qui mobilise, dans le cadre des SAMU, des pédopsychiatres, psychologues et infirmières psy formés au trauma et aux questions transculturelles.
Entre 1 et 8 ans.
« L’adoption internationale est, en soi, quelque chose de complexe, puisqu’il faut que les enfants et les parents s’approprient cette nouvelle relation et s’attachent les uns aux autres, avec leurs différences de culture ou de couleur de peau. Dans le cas qui nous occupe, les parents ont été soumis à rude épreuve. Comme tous les autres, ils n’ont pas su, pendant au moins une semaine, si l’enfant était vivant ou mort et ont fini par l’apprendre dans une grande confusion et une grande angoisse », explique le Dr Baubet. Quant aux enfants, « ils ont entre 1 et 8 ans et ont été exposés au traumatisme du tremblement de terre, aux destructions, à la désorganisation, à l’angoisse des adultes, aux cadavres. Certains ont également vécu des deuils en plus de la séparation et de leur histoire antérieure, qui peut être lourde. » Les traumatismes et les deuils ont un impact sur l’enfant, même les tout-petits. « On a tendance à imaginer qu’un enfant ne va pas comprendre ou qu’il oublie. Tout cela est parfaitement faux. Nous, on a vu à l’aéroport des enfants extrêmement choqués et qui présentaient des tableaux de choc psychique. Cela ne veut pas dire que ces tableaux sont durables mais ils peuvent l’être et se chroniciser. »
Même lorsque les symptômes sont discrets, la vigilance s’impose. « Le traumatisme peut passer inaperçu et avoir pourtant des conséquences importantes sur le bien-être et sur le développement de l’enfant », prévient-il. D’une manière générale, les symptômes observés dans la première phase ne sont pas prédictifs de l’évolution future. « Des enfants peuvent sembler aller bien et voir leur état se dégrader dans les semaines qui suivent. »
C’est pourquoi, le dispositif mis en place comporte plusieurs temps : une intervention précoce suivie d’un entretien dans les jours qui suivent. Avant l’arrivée des enfants, les parents sont vus en entretien. « On fait le point avec eux, sur leurs symptômes – certains ne dormaient plus depuis plus d’une semaine, étaient angoissés ; d’autres avaient beaucoup d’appréhension quant à l’arrivée de l’enfant et avaient peur de ne pas y arriver. Il s’agit d’essayer d’éclaircir avec eux ce qu’ils ressentent et ce qu’ils attendent », précise le Dr Baubet. À l’arrivée des enfants, les soignants se font plus discrets. « Nous n’intervenons qu’en cas de difficultés », note-t-il. Cela peut-être, raconte-t-il, « le cas d’un enfant qui se tient complètement raide, qui hurle, refuse tout contact, montre de la défiance. Les parents ne comprennent pas et se posent des questions sur eux-mêmes. Ils n’y arrivent pas et se trouvent nuls. Certains parents sont tentés de partir très vite. »
Le rôle du pédopsychiatre est alors de soutenir la rencontre. « Les interventions visent surtout à faire évaluer la relation entre le parent et l’enfant, à faire travailler le parent sur ce qu’ils pensent qu’il se passe dans la tête de l’enfant afin qu’il modifie sa relation. En retour, le bébé change », explique-t-il. En général au bout d’un quart d’heure, une demi-heure, une heure pour les cas les plus sérieux, l’enfant s’apaise, le contact s’établit, les parents sont rassérénés.
Thérapeutique et préventif.
Cette indispensable première intervention doit être suivie d’une « réévaluation à distance ». Une fiche remise aux parents indique : « C’est surtout dans les jours qui vont suivre qu’il nous apparaît vraiment nécessaire de pouvoir consulter une équipe qui connaisse bien ces questions et qui pourra évaluer de manière précise avec vous si les événements traversés ont un impact sur l’établissement des relations entre vous. » Ils partent avec un numéro de téléphone et une adresse Internet. « Il est convenu qu’on les appelle dans une semaine. L’entretien téléphonique nous permettra de déceler les difficultés. En cas de doute sur l’état de l’enfant ou d’inquiétude des parents, nous leur proposerons de les revoir ou nous leur conseillerons une consultation près de chez eux. » Pour le spécialiste des interventions en situation de catastrophe, il s’agit « de thérapeutique mais aussi de prévention ». Mettre les parents en contact avec des équipes spécialisées peut les conduire à consulter plus tôt « si quelque chose dans l’interaction ne se met pas en place et qu’enfant et parent n’arrivent pas à s’attacher correctement ».
Cette première française pourrait être reconduite dans des situations similaires, « à condition que le dispositif soit évalué », conclut le psychiatre.
* Baubet T, et al., « Bébés et traumas », ed. La Pensée sauvage, 2006, 248 p. ; Romano H, Baubet T., « Dis c’est comment quand on est mort ? Accompagner l’enfant sur le chemin du chagrin », ed. La Pensée sauvage, 2009, 158 p.
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