Six mois de suspension dont trois ferme. La peine est sévère pour le Dr L., qui vient de faire appel de la décision de la chambre disciplinaire d’Aquitaine de l’Ordre des médecins. L’ORL, qui exerce à Libourne, avait été sanctionné au mois de février 2017 pour des propos discriminatoires à l’encontre de la mère d’un enfant mineur, venu le consulter en décembre 2015 à l’hôpital de Libourne.
L’affaire avait fait la Une de la presse locale. À la fin de la consultation, le médecin interpelle Mme T. sur sa tenue vestimentaire, alors que c’est la première fois qu’il la rencontre. « Savez-vous que le foulard que vous portez est un signe de non-intégration ? », lui demande-t-il. À la femme qui lui répond que ce foulard n’enlève rien à son appartenance à la communauté nationale, il rétorque : « Dans ce cas, vous devez porter un foulard bleu-blanc-rouge ! ». Puis il lui lance : « Nous sommes en guerre, il faut savoir dans quel camp on est. »
Signalement à la gendarmerie
Le Dr T. ne s'arrête pas à ces remontrances. Peu après la consultation, il informe la gendarmerie qu’il suspecte Mme T. de « dérive islamiste ». Suite à ce signalement, la femme est entendue par la brigade territoriale autonome de la gendarmerie qui ne relève aucune radicalisation.
Mme T. se dira « profondément marquée » par ces évènements, selon les propos du CCIF (collectif contre l’islamophobie en France), à l’origine de la plainte auprès de l’Ordre. Lors d'une réunion de conciliation, le Dr L. reconnaît avoir tenu ces propos et présente ses excuses à la plaignante. Pour justifier son comportement, le médecin évoque l’émotion suscitée par les attentats du Bataclan, intervenus quelques semaines plus tôt, en novembre 2015.
La chambre disciplinaire d’Aquitaine n’a pas retenu ces arguments. La juridiction ordinale reproche au médecin de nombreux manquements déontologiques, notamment d’avoir tenu des propos qui « par leur nature, constituent nécessairement une méconnaissance des obligations faites au médecin de ne pas tenir compte de l’appartenance à une religion d’une personne qu’il écoute […] », et d’avoir « déconsidéré la profession ».
« Les faits sont reconnus et nous ne contestons pas qu’il y ait une sanction, avance Maître Philippe Lief. Mais nous estimons que la peine est excessive », notamment au regard d’autres affaires similaires. « Il ne s’agit pas de minorer les faits, insiste l’avocat du Dr L., mais il y a une question d'équité, il faut que chacun soit traité de la même manière. » En appel, les avocats du Dr L. comptent évoquer plusieurs affaires impliquant des médecins ayant proféré des insultes à l'encontre de confrères ou de patients et sanctionnés avec une moindre sévérité.
Un mois avec sursis pour des propos islamophobes en Isère
En 2016, le cas d'une généraliste remplaçante de l'Isère avait défrayé la chronique : la praticienne avait tenu des propos islamophobes à l'égard d'une patiente voilée. La chambre disciplinaire de première instance avait pris en compte le fait que cette patiente avait eu un comportement de nature à provoquer la réaction déplacée du médecin. Elle avait infligé à la généraliste une suspension d'exercice d'un mois avec sursis. Une peine bien moins sévère que celle du Dr L..
Devant la chambre nationale, le médecin pourra par ailleurs se prévaloir de la fidélité de sa patientèle, au sein de laquelle figurent de nombreux patients d’origine étrangère et de diverses confessions religieuses. « Il n’a jamais eu aucun problème, aucune sanction ordinale pendant toutes ses années d’exercice », rappellent les avocats du médecin.
Le praticien aurait été extrêmement choqué par les attentats et se serait totalement fourvoyé en s’en prenant à cette patiente et en la signalant à la gendarmerie. « C’est arrivé une fois. Est-ce que cela mérite une telle sanction ? »
La Chambre disciplinaire nationale devra répondre à cette question soulevée par la défense du médecin. D’ici là, le Dr T. devra continuer d’exercer avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, et la perspective d’être sanctionné.
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