Avec une augmentation soutenue des demandes d'assistance médicale à la procréation (AMP) de la part des femmes seules ou en couple, des demandes d'autoconservation des gamètes, et même des dons, la loi de bioéthique du 2 août 2021 déjoue tous les pronostics.
Selon les derniers chiffres présentés le 16 mai 2022 lors de la troisième réunion du comité national de suivi de sa mise en œuvre*, 5 126 demandes de première consultation pour une AMP avec don de spermatozoïdes, pour des femmes seules ou en couple, ont été enregistrées entre le 1er janvier et le 31 mars 2022, dans les 27 centres autorisés. Après les 6 800 nouvelles demandes estimées en 2021 (depuis la promulgation de la loi), « c'est un niveau très supérieur à ce qui avait été anticipé », commente auprès du « Quotidien » Emmanuelle Cortot-Boucher, directrice générale de l'Agence de la biomédecine (ABM). « L'étude d'impact de la loi chiffrait à 4 000 le nombre maximal de femmes concernées par la loi », rappelle-t-elle.
Autre élément de surprise : la proportion de femmes seules à solliciter un parcours d'AMP. Ce premier trimestre de 2022, elles représentent en effet 53 % des nouvelles demandes désormais autorisées par la loi, et les couples de femmes, 47 %.
La tendance devrait-elle se poursuivre ? En attendant les prochaines enquêtes du comité de suivi, chaque trimestre, « les prévisions sont difficiles. Peut-être sommes-nous dans une vague formée par des demandes des femmes qui ont attendu l'entrée en vigueur de la loi, vague qui devrait revenir à des niveaux inférieurs par la suite », estime Emmanuelle Cortot-Boucher.
Un intérêt croissant pour l'autoconservation des gamètes
Les demandes d'autoconservation des gamètes hors indication médicale, autre changement profond de la loi de bioéthique, sont aussi en augmentation. Selon l'enquête menée auprès des 40 centres autorisés, publics et privés à but non lucratifs, 2 553 femmes ont fait une demande de première consultation entre le 1er janvier et le 31 mars 2022 (soit 851 par mois) et 1 130 consultations ont été réalisées (soit 377 chaque mois). Des chiffres qui révèlent un intérêt croissant par rapport au dernier trimestre 2021 (du 15 octobre au 31 décembre 2021), durant lequel 1 464 demandes de première consultation avaient été enregistrées (soit 587 par mois). Parmi les femmes engagées dans un tel parcours, 238 ont pu le terminer entre le 1er janvier et le 31 mars 2022.
Quant aux hommes, 47 ont fait une demande de première consultation pour l’autoconservation de leurs spermatozoïdes (contre 44 demandes entre le 15 octobre et le 31 décembre 2021) ; 37 consultations ont été réalisées. Au total, 28 hommes ont pu bénéficier d’une autoconservation de leurs spermatozoïdes entre le 1er janvier et le 31 mars 2022.
Enfin, contrairement à ce qui était redouté, la possibilité d'un accès aux origines pour les enfants issus du don, à leur majorité, n'a pas rebuté les donneurs. « Nous observons des niveaux de don de gamètes historiques », se félicite Emmanuelle Cortot-Bocher. Les donneurs sont 185 à avoir donné leurs spermatozoïdes ce printemps (soit 740 si l'on extrapole sur l'année), après 600 l'an dernier (versus 404 en 2017). Et 900 femmes ont donné leurs ovocytes en 2021 (contre 836 en 2019).
Tensions dans les centres
Conséquence de cet engouement, « les centres d'AMP sont soumis à de très fortes tensions. Il est important qu'ils puissent se renforcer en ressources humaines et en équipements, voire pour certains, reconfigurer leurs locaux », observe Emmanuelle Cortot-Boucher. Le ministère de la Santé a débloqué 7,3 millions d'euros supplémentaires l'an passé, puis 5,5 millions ce premier trimestre, pour les accompagner à accueillir ces nouveaux publics.
Les effets sont contrastés sur le terrain. Le nombre de prises en charge s'accélère : 2 562 consultations pour une AMP ont été réalisées au bénéfice de couples de femmes ou de femmes non mariées, soit une moyenne de 854 par mois en 2022, contre 653 par mois entre le 16 octobre et le 31 décembre 2021. Et 53 tentatives d’AMP avec don de spermatozoïdes ont été réalisées au bénéfice de ces nouveaux publics.
Mais les délais d'attente augmentent, jusqu'à 13,6 mois en moyenne fin mars, soit une augmentation de 1,6 mois par rapport à fin 2021. « Cette augmentation reste maîtrisée », nuance la directrice générale de l'ABM. « Les centres sont tous très mobilisés pour répondre à la demande et accompagner ces évolutions historiques », insiste-t-elle.
Un arrêté pour harmoniser les règles d'attribution des gamètes
Un arrêté publié au « Journal officiel » du 17 avril 2022 vient préciser les bonnes pratiques en matière d'AMP. Il rappelle les principes fondamentaux de l'accès au don énoncé par la loi, à commencer par la non-discrimination (selon le statut matrimonial, l'orientation sexuelle, le fait d'avoir ou non des enfants, l'origine géographique, etc.).
Puis il explicite les pratiques d'attribution des gamètes pour garantir une application homogène sur le territoire. « Les gamètes et embryons sont attribués suivant l’ordre chronologique d’inscription des demandeurs », lit-on. Ce délai peut prendre en compte l’existence d’une pathologie qui risquerait d’entraîner une perte de chance en cas de report de la tentative, ou l’appariement sur certains facteurs de risque médicaux (rhésus négatif, etc.) ou sur des critères physiques tels que la peau, la couleur des yeux ou des cheveux. Pour rappel, l'appariement est une possibilité pour le couple, en rien une obligation. Le cas échéant, il se fait à partir des caractéristiques physiques des deux membres du couple ou de la femme non mariée.
Enfin, est précisé que si le stock de gamètes est insuffisant pour faire face aux demandes, l’équipe clinico-biologique peut décider de limiter le nombre de tentatives pour l’ensemble des demandeurs. « C'est théorique : les stocks de spermatozoïdes sont aujourd'hui suffisants pour faire face à la demande », assure Emmanuelle Cortot-Boucher.
* Mis en place par l'Agence de la biomédecine, à la demande du ministère de la Santé, ce comité réunit l'ensemble des parties prenantes (institutionnels, sociétés savantes, associations…) pour suivre la mise en application de la loi sur le terrain.
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