La crise « sans précédent » de l’hôpital public, « symptôme le plus saillant de la crise du système de soins », doit amener à une refondation « sur un fondement éthique », remettant le sens des soins et les patients au centre des préoccupations, plaide un nouvel avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE). Remis le 2 novembre au ministre de la Santé, le Pr François Braun, et rendu public ce 7 novembre, cet avis 140 a l’ambition de peser sur la réflexion en cours dans le volet « santé » du Conseil national de la refondation (CNR).
« L’analyse de la crise sanitaire et hospitalière nous amène à penser que la situation n’est pas temporaire ou liée à l’épuisement des professionnels. C’est une crise profonde qui touche à la notion de soins et conduit à une souffrance éthique éprouvée par les professionnels de santé dans leur exercice quotidien », explique au « Quotidien », l’un des co-rapporteurs de l’avis, le Pr Régis Aubry, médecin chef en soins palliatifs au CHU de Besançon.
Un précédent avis du CCNE sur l’éthique et la santé publique (juillet 2021) avait déjà pointé les risques de tensions entre l’éthique individuelle du soin et l’éthique liée à une juste allocation de ressources limitées. Cette fois centré sur l’hôpital, ce nouvel avis examine les « faiblesses » révélées par la crise sanitaire. La vulnérabilité du système de soins a des « racines anciennes et multiples », liées à des « aspects organisationnels, mais pas seulement », indique auprès du « Quotidien » Annabel Desgrées du Loû, spécialiste de santé sexuelle et reproductive et également co-rapporteur de l’avis.
Valoriser les actes « humains » et pas seulement techniques
En cause notamment, une orientation du système de soins vers la performance. « Cette évolution est probablement liée aux progrès de la médecine, à ses développements techniques et scientifiques, mais, en même temps, cela éloigne la médecine de son objet, la personne malade », analyse le Pr Aubry. « Le temps des soignants croise de moins en moins celui des malades », lit-on dans l’avis.
Ce délaissement de la relation, de l’écoute, de la discussion entre soignants « nuit à la santé » et « est en cause dans la souffrance des professionnels et dans les plaintes des patients, insuffisamment associés », poursuit le co-rapporteur, estimant que « l’éthique est escamotée, insuffisamment reconnue par rapport à la valorisation des actes techniques ». Ces éléments conduisent les soignants à quitter l’hôpital, d’autant que les salaires sont « peu élevés au regard de l'engagement demandé », souligne l’avis.
Ces constats invitent à un « rééquilibrage », sans remise en cause de la technique : « à l’occasion du CNR santé, il y a peut-être lieu de repenser la valorisation des actes humains, au même titre qu’on l’a fait avec la tarification à l’acte pour améliorer la performance », invite le Pr Aubry, nommé « garant » du CNR santé au nom du CCNE.
La réforme réclamée par les rapporteurs doit être guidée par deux principes : « un accès égal pour tous au système de santé et de soins et le respect inconditionnel des personnes soignées et de ceux qui les soignent », indique l’avis du CCNE. Il est nécessaire d’« accorder de la valeur au temps de la relation, au sens, au temps de la réflexion », insiste le Pr Aubry.
Vers une gouvernance plus participative
Une dimension de cette réforme relève d’une « gouvernance plus participative et à l’écoute des différents professionnels, pas seulement les médecins, ajoute Annabel Desgrées du Loû. Pour répondre à la souffrance éthique, les professionnels de santé manquent de temps et d’espace pour des échanges en équipe. Des temps de discussion dédiés, réguliers et valorisés financièrement, avec l’ensemble des personnels, sont nécessaires pour s’interroger sur la manière de faire pour bien faire ».
Cette reconnaissance et cette valorisation des compétences et des savoirs professionnels « seraient de nature à inverser le mouvement actuel de découragement et de fuite », estime le Pr Aubry. De même, face à une complexification croissante des situations à la fois médicales et sociales, l’appel à des compétences croisées peut être salutaire. L’avis suggère par exemple « la consolidation de la place des médiateurs », souligne Annabel Desgrées du Loû. L’expérience du VIH notamment, où les usagers ont pris une place importante, impliquant des modifications dans l’organisation avec un recours à des psychologues ou des assistantes sociales, « pourrait inspirer la réforme », plaide-t-elle.
L’éthique ne peut être « ni optionnelle, ni facultative » dans les politiques de santé, insistent les rapporteurs. L’urgence est, selon eux, de « remettre l’éthique au cœur de la santé » et de la considérer comme « socle et fondement des actions à mener ».
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