Le Conseil d'État a rendu publique ce 11 juillet son étude sur la révision de la loi de bioéthique, en réponse à une demande du Premier ministre. Le rapport, destiné à éclairer juridiquement le gouvernement, ne prend pas position, sauf sur la GPA ou l'euthanasie ; il pointe les écueils juridiques ou propose des pistes pour garantir une cohérence juridique, sur la procréation, le don, la génomique, les neurosciences, l'intelligence artificielle, la fin de vie, et les enfants « intersexes ».
Singularité du modèle bioéthique français
C'est aussi à la protection du modèle bioéthique français que veille le Conseil d'État, qu'il définit comme un triangle de trois valeurs : la dignité (respect de l'intégrité, de l'inviolabilité et de l'extra-patrimonialité du corps humain qui n'est pas un bien), la liberté individuelle (consentement, droit au respect de la vie privée, autonomie), et la solidarité (don altruiste, attention aux plus vulnérables, mutualisation des dépenses de santé). « En France, le principe de dignité surplombe tous les autres », observe Bruno Lasserre, vice-président du Conseil d'État. Or cet équilibre est aujourd'hui menacé, notamment par les évolutions législatives étrangères. « Ce n'est pas parce que d'autres pays lèvent des interdits que le gouvernement français doit s'engager dans une compétition au moins-disant éthique et risquer de perdre la force et la cohérence de notre modèle » met en garde Bruno Lasserre.
En matière de génétique, les progrès du séquençage questionnent l'interdit actuel qui pèse sur le recours aux tests ADN hors d'un cadre strictement médical. Deux séries d'arguments s'affrontent : d'un côté, la sensibilité de ces données, leur difficulté d'interprétation, les conséquences sur la parentèle. De l'autre, l'autonomie du patient. Sans trancher, le Conseil d'État pose deux garde-fous en cas de dépénalisation : l'interdiction d'y recourir pour autrui et dans un contexte assurantiel ou professionnel.
Le Conseil d'État signale que l'édition génique, appliquée à des cellules germinales ou des embryons, dans la clinique, irait à l'encontre de la convention d'Oviedo et du Code civil, qui interdisent les modifications du génome transmissibles à la descendance. Les sages appellent aussi à reformuler l'interdit de la création « d'embryons transgéniques » posé en 2011, dépassé par les progrès techniques.
Prudence sur les diagnostics anténataux
En anténatal, le Conseil d'État se montre réservé au sujet du diagnostic pré-conceptionnel. S'il reconnaît qu'il n'y a pas d'obstacle juridique à autoriser de futurs parents à réaliser un test pour savoir s'ils risquent de transmettre une maladie mendélienne grave et incurable, il y voit un risque d'eugénisme et de mise en tension du système de santé. Néanmoins, en cas d'autorisation de ce test, le rapport précise qu'il doit être volontaire, remboursé par l'assurance maladie, limité au champ des maladies les plus graves ; il ne devrait pas être réservé à certaines populations, mais proposé par le médecin en fonction de son appréciation multifactorielle du risque.
Aux médecins qui demandent l'extension du DPI aux aneuploïdies, le Conseil d'État répond qu'il n'y a pas d'obstacles juridiques rédhibitoires. En revanche, cela implique une rupture avec la finalité originelle du DPI qui est la recherche des maladies héréditaires ; et de s'interroger sur le maintien de cette interdiction pour toutes les FIV. Enfin, les sages affichent la plus grande prudence à l'égard de l'extension du dépistage prénatal non invasif (DPNI) à d'autres pathologies que la trisomie 21, au motif que l'innocuité d'une technique ne doit pas impacter l'étendue des affections recherchées. Seule apparaît légitime l'utilisation du DPNI pour dépister des anomalies déjà recherchées avec d'autres techniques, sous réserve d'une analyse de la HAS.
Quasi-statu quo sur la recherche sur l'embryon
Le Conseil d'État ne prend pas partie pour ou contre une distinction entre la législation sur la recherche sur l'embryon d'une part, et sur les cellules souches embryonnaires (CSEh) d'autre part, réclamée par les sociétés savantes. En revanche, il préconise, après les évolutions de 2013 et 2016, d'en rester au statu quo concernant la recherche sur l'embryon, dont le cadre distingue deux régimes, selon que les travaux portent sur un embryon destiné à être implanté (dans le cadre de l'AMP) ou non (surnuméraire, donné à la recherche). Il suggère de fixer dans le droit positif une durée maximale de culture in vitro, ne s'oppose pas à une durée limite de conservation des embryons donnés à la recherche, et attire l'attention du législateur sur l'obsolescence de l'interdiction de créer des embryons chimériques.
Pas d'obstacle juridique à l'ouverture de l'AMP ni à l'autoconservation ovocytaire
Le droit ne commande ni le statu quo ni l'évolution des conditions d'accès à l'AMP, assure le Conseil d'État. Et de rappeler qu'il n'existe aucun « droit à l'enfant », et que l'« intérêt supérieur de l'enfant », principe qui doit guider le législateur, ne signifie pas : « naître toujours dans une famille hétérosexuelle ». « Le sérieux du projet parental, qui doit être la transmission de la vie, doit être examiné au cas par cas comme il l'est actuellement par les équipes médicales », précise Bruno Lasserre.
Si le législateur ouvre l'AMP à toutes les femmes, l'étude privilégie la création d'un régime ad hoc de filiation pour les femmes, via une déclaration commune anticipée, et une prise en charge intégrale par l'assurance-maladie de toutes les AMP. Il met en garde contre la tentation d'une rémunération du don de gamètes, et reconnaît un changement de philosophie de l'AMP, qui se dépouillerait de son caractère médical pour devenir une réponse technique à une demande sociale. Le Conseil d'État ne voit pas non plus d'obstacle juridique à la levée de l'interdiction de l'AMP post-mortem, ni à l'autorisation de l'autoconservation ovocytaire. Il estime envisageable de permettre aux enfants issus d'un don de gamètes d'accéder à leur majorité à l'identité du donneur si celui-ci y consent tout en préservant l'anonymat au moment du don.
Non à la GPA
En revanche, les sages disent non à la gestation pour autrui rémunérée ou non, incompatible avec les principes d'indisponibilité et de non-patrimonialisation du corps humain.
Enfin, le Conseil d'État ne juge pas souhaitable de modifier la législation sur la fin de vie, en particulier l'interdiction de l'aide au suicide - en contradiction avec la déontologie médicale - et de l'euthanasie et invite à développer les soins palliatifs.
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