Alors que la France s'engage dans une réflexion sur l'aide active à mourir, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) se prononce sur un cas d'euthanasie en Belgique. Elle estime dans l'arrêt du 4 octobre « Tom Mortier contre la Belgique » qu'il y a eu des défaillances dans le contrôle a posteriori, mais aucune violation du droit à la vie, tel qu'il est formulé dans la Convention européenne des droits de l'homme.
« La présente affaire ne porte pas sur l’existence ou non d’un droit à l’euthanasie (ouvert en 2002, NLDR), mais sur la compatibilité avec la Convention de l’euthanasie telle qu’elle a été pratiquée », dans cette situation particulière, précise la Cour.
L'histoire date de 10 ans. En septembre 2011, une femme souffrant de dépression chronique depuis 40 ans consulte le Pr D. pour lui faire part de son intention de recourir à une euthanasie. Le médecin conclut « qu’elle était gravement traumatisée, qu’elle présentait un trouble grave de la personnalité et de l’humeur et qu’elle ne croyait plus à un rétablissement ou à un traitement », lit-on. Elle réitère sa demande, y compris auprès d'autres médecins, et finit par être euthanasiée dans un hôpital public par le Pr D en avril 2012. En juin 2013, la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie (dont le Pr D. est le coprésident) conclut que l'euthanasie est réalisée selon la procédure prévue par la loi.
Malgré les préconisations des soignants, la patiente a rechigné à prévenir sa fille et son fils. Elle leur envoie malgré tout un mail en janvier 2012, auquel le fils ne répond pas. C'est ce dernier, Tom Mortier, qui entame des poursuites judiciaires, d'abord via une plainte contre le Pr D. auprès de l'Ordre des médecins en février 2014, puis par une plainte pénale contre X, classée sans suite en 2017, avant que l'instruction ne soit réouverte en 2019 et clôturée en 2020 : le parquet estime que l’euthanasie a respecté l'encadrement légal.
Manque d'indépendance de la commission
La Cour constate des défaillances dans le contrôle a posteriori de l'euthanasie, sur deux points. D'abord, en matière d'indépendance de la Commission de contrôle, dont le Pr D. est coprésident : « Il apparaît qu'il ne s'est pas récusé et rien ne permet de vérifier si la pratique consistant, pour un médecin impliqué dans une euthanasie faisant l’objet d’un contrôle, à garder le silence, a été suivie en l’espèce. » Cette procédure même de récusation, prévue par la loi, « n’empêche pas le médecin qui a pratiqué l’euthanasie de siéger dans la Commission et de voter sur la question de savoir si ses propres actes étaient compatibles avec les exigences matérielles et procédurales du droit interne », déplore la Cour, qui y voit une entaille à l'indépendance de la Commission.
« Un tel écueil pouvait être évité si la Commission était composée d’un nombre de membres plus important que le nombre de ceux qui siègent pour l’examen de chaque affaire, afin qu'un membre de la Commission qui a pratiqué une euthanasie ne puisse pas siéger lorsque la Commission contrôle l’euthanasie en question », préconise la Cour.
Dans un second temps, la CEDH considère que les enquêtes pénales entreprises à la suite de la plainte du fils ont duré trop longtemps (surtout la première, plus de trois ans), ce qui constitue une deuxième violation de l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme sur le droit à la vie.
Un cadre conforme à la Convention des droits de l'Homme
Mais au-delà du contrôle a posteriori, la CEDH ne retient aucun autre grief formulé par le fils et considère que l'euthanasie de sa mère est compatible avec la Convention des droits de l'homme. « Elle a été pratiquée environ deux mois après sa demande formelle d’euthanasie et après que le Pr D. se fut assuré que la demande de l’intéressée était volontaire, réitérée, réfléchie et sans pression extérieure, qu’elle se trouvait dans une situation médicale sans issue et qu’elle faisait état d’une souffrance psychique constante et insupportable qui ne pouvait plus être apaisée et qui résultait d’une affection grave et incurable », conclusion confirmée par l'enquête pénale, explicite le jugement.
En outre, la loi n'oblige pas les médecins à informer les proches d'une personne quand telle n'est pas sa volonté. En l'occurrence, « ils ont fait tout ce qui était raisonnable pour qu'elle contacte ses enfants, dans le respect de la loi, de leur devoir de confidentialité et du maintien du secret médical ». Il n'y a donc pas de violation de l'article 8 de la Convention sur le droit au respect de la vie privée et familiale.
« La loi de dépénalisation de l’euthanasie, en ses principes fondamentaux, ne viole ni l’article 2, ni l’article 8 de la Convention. Ceci est fondamental : la dépénalisation de l’euthanasie sous conditions telle que prévue par la loi belge du 28 mai 2002 relative à l’euthanasie est, aux yeux de la CEDH, compatible avec les droits de l’homme », s'est félicitée Jacqueline Herremans, présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) en Belgique et membre de Commission fédérale de contrôle.
En 2021, le pays a comptabilisé 2 700 euthanasies, soit 2,4 % du nombre total de décès. Cela concernait en majorité des personnes de 60 à 89 ans et, dans 84 % des cas, le décès était attendu à « brève échéance ». Plus de la moitié (54 %) ont eu lieu à domicile. S'il n'y a guère de remise en cause de la loi, certaines voix, en particulier de médecins, s'interrogent sur une certaine « banalisation » de l'euthanasie.
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