Dans le cadre du prélèvement d’organes selon la procédure Maastricht III (M3), deux visions s’opposent. La vision sociale souhaite davantage de greffons de qualité pour traiter plus de patients en attente de greffe, et donc essayer de sauver plus de vie. De toute façon, le donneur va mourir, puisqu’il y a une décision de limitation ou d’arrêt des thérapeutiques (LAT) de maintien en vie, et la société s’approprie le corps du défunt. À cette vision s’oppose celle, individuelle, qui met en avant le fait que le corps appartient à l’individu, même quand il est dans le coma, et même après sa mort. La question qui se pose alors est : dois-je mourir si je suis dans le coma pour aider à sauver quelqu’un que je ne connais pas ? Dans ce contexte, il convient de s’interroger sur la finalité du prélèvement d’organes M3 et de se poser la question de savoir si la finalité sociale est en concordance avec la finalité médicale. Le mot « médecine » vient du latin medeor, qui signifie « guérir ». Dans le cadre M3, la finalité médicale n’est plus de guérir le donneur, mais le receveur.
En accord avec la loi française ?
La loi Claeys-Leonetti de février 2016 met la volonté du patient au centre du processus décisionnel et de la prise en charge. Le respect de la volonté du donneur d’être prélevé après son décès met donc bien cette activité en phase avec la loi. Mais si la volonté du patient est au centre du processus, cela pose le problème du consentement, qui nécessite pour le moins une information de qualité. En France, le don d’organes est soumis au « consentement présumé ». Est-on sûr que chacun s’est réellement positionné ? Que faire quand la personne ne l’a pas fait lorsqu’elle en était capable ? L’absence de prise de position vaut-elle vraiment consentement ? N’y a-t-il pas violence de la société vis-à-vis de l’individu, à présumer de son consentement ? Est-on sûr enfin que l’information a été honnête, loyale et éclairée ?
Dans le cadre de la procédure M3, il faut noter l’importance majeure des directives anticipées et de la personne de confiance, qui permettent de mettre la volonté du patient au cœur de la décision médicale. De plus, les équipes qui pratiquent cette procédure doivent disposer d’un protocole de LAT clair, connu, respecté et tracé. Il s’agit là d’une nécessité déontologique, éthique et légale. Dans ce protocole de LAT, la collégialité est indispensable, l’esprit de la loi Claeys-Leonetti étant d’éviter la prise de décision par un médecin seul. Il faut souligner l’importance du consultant extérieur, qui vient donner un avis éclairé et impartial. La question de son choix doit être posée au sein de chaque équipe pratiquant la procédure M3.
Un possible conflit d’intérêts ?
Les greffons de donneurs M3 sont souvent excellents, et c’est finalement presque un problème. Il peut y avoir un conflit d’intérêts majeur avec les greffeurs, qui ont une vision partielle du problème, mais également avec l’administration, qui peut exercer une pression de production (« il manque une greffe pour passer au forfait supérieur »…). Il peut aussi y avoir une pression sociale. En effet, les besoins de greffons de qualité sont très importants, et c’est une réalité qui peut aboutir à culpabiliser les équipes qui n’auraient pas prélevé « suffisamment » d’organes. Néanmoins, le besoin d’organes, aussi réel soit-il, ne peut pas aboutir à plus de décision M3.
Ne pas prélever un patient alors qu’il était donneur, est-ce éthique ? Parce que la famille s’y oppose ? Il y a là un caractère opposable de la volonté du patient à la famille qu’il convient de discuter. Parce que le médecin s’y oppose ? Le caractère opposable de la volonté du patient vis-à-vis du médecin est inscrit dans la loi, et pourtant encore certains médecins, pour de bonnes ou mauvaises raisons, ne suivent pas la volonté du patient. Est-il éthique d’interrompre une vie pour en sauver une autre ? Est-il éthique de ne pas sauver une vie quand cela est possible ? En fait, il faut formuler autrement la question, et se dire qu’une vie s’interrompt et que l’on va pouvoir en sauver une autre.
Une nouvelle définition de la mort ?
La procédure M3 peut-elle aboutir à remettre en cause la définition de la mort ? L’absence de vie relationnelle est-elle un équivalent de la mort ? N’y a-t-il pas là un risque de dérive de la définition de la mort, qui de l’arrêt de la respiration au xixe siècle est passée à l’arrêt des battements cardiaques, puis à l’état de mort encéphalique à la fin du xxe siècle, et maintenant, avec la possibilité d’arrêt de thérapeutiques de maintien en vie, pourrait évoluer vers l’absence de vie relationnelle. Quelle différence font les familles entre la mort encéphalique et l’état végétatif ? Ce qui est perçu, c’est que le patient ne communiquera plus jamais.
La procédure M3 n’est pas compatible avec l’urgence médicale, et, lors de la prise en charge initiale, il convient de faire son travail de médecin réanimateur. Ç’a été démontré dans la littérature médicale : une étude prospective multicentrique observationnelle de cohorte qui imposait l’absence de décision de LAT pendant cinq jours pour des patients présentant une hémorragie intracérébrale non traumatique a montré que le simple fait d’imposer cette attente à une équipe divisait par deux la mortalité prédite sans aggraver la morbidité de patients victimes d’hématome intracrânien (1). Une décision de LAT est donc d’autant plus sereine qu’on a fait ce qu’on avait à faire initialement pour la prise en charge du patient. Il est important de rappeler que l’ensemble de la procédure nécessite du temps aussi bien pour l’équipe que pour la famille. De plus apparaît la nécessité de dissocier la décision de LAT de la décision de prélèvement. La temporalité est essentielle pour la qualité éthique de la procédure, et pourtant c’est parfois médicalement difficile.
Obstination déraisonnable ou lutte pour la vie ?
Autre question, la réanimation d’un donneur potentiel, sans espoir curatif pour lui, est-elle du ressort de l’obstination déraisonnable ou est-elle une lutte pour la vie, via le don d’organe ?
Cette question est bien sûr primordiale. L’obstination déraisonnable est contraire au code de déontologie, qui précise que le médecin doit s’en abstenir et qu’il peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui paraissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet ou effet que le seul maintien artificiel de la vie. Le respect de la volonté du patient est donc essentiel dans ce contexte. Elle devra être rapidement recherchée, même s’il faut dissocier dans le temps la décision de LAT de la décision de prélèvement.
L’évaluation en matière de qualité et d’éthique du prélèvement M3 est bien sûr indispensable. Elle doit être réalisée au niveau social, par l’Agence de la biomédecine, comme au niveau de chaque service de réanimation qui entre dans la procédure. Celle de la qualité des greffons, qui fait partie du processus d’évaluation, est facile à réaliser, mais il faut aussi et surtout y associer celle de la qualité de la procédure de LAT, du vécu des équipes médicales et paramédicales et aussi bien sûr du vécu des familles.
La procédure M3 n’est pas compatible avec l’urgence médicale, et, lors de la prise en charge initiale, il convient de faire son travail de médecin réanimateur
Président du comité éthique de la Sfar
(1) Morgenstern LB et al. Neurology. 2015 Apr 28;84(17):1739-1744
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