Seuls 11 % des ophtalmologistes libéraux exercent dans des aires urbaines ou rurales de moins de 50 000 habitants. Une désertification qui entraîne des délais de rendez-vous toujours plus longs. À Saint-Quentin dans l’Aisne, « les délais d’attente sont de plus de 6 mois pour un ophtalmo », regrette le Dr Béatrice Berteaux, maire adjointe de la ville en charge de la santé. Pour lutter contre cette pénurie, la commune – en accord avec la CNAM — a décidé d’expérimenter un projet inédit en France : l’installation d’un centre de télé-ophtalmologie au cœur de la ville.
Avec une cinquantaine de centres d’ophtalmologie en France, c'est l'entreprise Point Vision qui a été choisie pour installer cette antenne à Saint-Quentin. L’idée est simple : proposer aux habitants de se rendre dans ce centre de téléconsultation, totalement équipé, pour consulter une ophtalmo libérale en visio, située à Lille. Avec toujours pour objectif de réduire les délais et de rendre plus accessible les soins oculaires. « Le projet date d’il y a trois ans, entre-temps nous avons eu des discussions prolongées avec la CNAM », raconte le Dr François Pelen, président de Point Vision et initiateur du projet, lui-même ophtalmologiste.
Le pari n’était pas gagné d’avance. En effet, la réglementation sur la téléconsultation impose au praticien d’avoir déjà vu le patient dans l’année ; « or en ophtalmologie, nous voyons plutôt nos patients tous les trois à cinq ans », souligne le Dr Pelen. Sous ces conditions, impossible de rembourser un acte de télé-ophtalmologie. « Nous avons donc convenu avec la CNAM d’installer notre centre dans le cadre d’une expérimentation d’un an », explique-t-il. L’Assurance-maladie a proposé de lancer l’expérimentation dans les Hauts-de-France, « une zone défavorisée en termes d’offre de soins ». Ouvert en juin, le centre de télé-ophtalmologie a déjà reçu 500 patients… « Et 30 % avaient des pathologies oculaires qui méritaient des investigations poussées », affirme le Dr François Pelen.
Téléconsultations à 50 euros
Une fois la porte du centre passée, le patient est reçu par une secrétaire pour les formalités administratives. Puis, il est pris en charge par une orthoptiste. Mesures, photos du fond d’œil, tension oculaire… Le dossier est complété et envoyé à 100 km, à Lille, sur l’ordinateur du Dr Ghita Guedira. L’ophtalmo lilloise reçoit ensuite le patient en téléconsultation et échange à travers un écran placé dans une pièce isolée. À Saint-Quentin, Point Vision recycle le concept qui a fait son succès : une prise en charge rapide, fluidifiée en amont par l’intervention d’un orthoptiste.
Si le cas est simple, le patient ressort avec ordonnance et compte rendu en main. Si des investigations complémentaires sont nécessaires, il est invité à se déplacer au cabinet lillois, « mais le Dr Guedira se déplace aussi à Saint-Quentin tous les 15 jours », précise le fondateur de Point Vision.
Pour le Dr Guedira, après une période d’adaptation, la pratique est devenue naturelle. « J'en oublie l’écran qu’il y a entre moi et le patient », confie-t-elle. Troubles de la vision, cataractes, glaucome… « J’ai pris conscience des enjeux d’accès au soin dans cette commune. Certains patients sont presque mal voyants tellement la cataracte a évolué, c’est catastrophique. D’autres n’ont pas consulté depuis 10 ou 15 ans, voire n’ont jamais vu d’ophtalmo de leur vie », raconte-t-elle. Les habitants de Saint-Quentin doivent en moyenne patienter 15 jours pour obtenir un rendez-vous dans le centre. Les téléconsultations sont facturées 50 euros, en secteur II.
Pas de glissement des tâches
Pour l’heure, les téléconsultations ne sont ouvertes que deux jours par semaine, durant lesquels le Dr Guedira ne voit pas de patients lillois. Réduire les délais d’un côté ne les rallonge pas de l'autre ? « Non, je ne pense pas que cela rallonge les délais du côté de Lille, car la démographie médicale n’est pas du tout la même. Le service rendu à Saint-Quentin est bien plus important », se défend-elle. « Nous sommes très pragmatiques : si un médecin veut s’installer à Saint-Quentin, nous arrêterons la téléconsultation », poursuit le Dr Pelen. Point Vision se défend également d’un glissement des tâches de l’ophtalmo vers l’orthoptiste. « Chacun ses fonctions, il n’y a pas de délégation », martèle le Dr Guedira. De fait, la spécialité est engagée de longue date dans le travail aidé, qui contribue à la réduction des délais d'attente.
L’expérimentation doit se poursuivre jusqu’au moins de juin prochain. Et un bilan est fait tous les trois mois avec la CNAM, questionnaire de satisfaction des patients à l'appui. « Si cela fonctionne, nous souhaitons ouvrir des postes avancés comme celui-ci dans d’autres régions de France. Mais sous une seule condition : d’être à moins d’une heure de route de l’ophtalmo qui téléconsulte », propose François Pelen.
La démarche rappelle le développement des cabinets secondaires dans les zones sous-dotées. Selon le Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF), 8 % des ophtalmos libéraux sont déjà présents partiellement sur ces sites secondaires. Même si la situation est très disparate, les délais moyens pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmo en secteur I se sont réduits à 45 jours en 2020. Et depuis 2017, le SNOF mène une campagne « zéro délai en 2022 ».
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