Lettre ouverte au Dr Patrick Bouet, président de l’Ordre.
Monsieur le Président et cher confrère,
- Votre très long silence, ne nous voilons pas la face, en a irrité et fait douter plus d’un ! Gageons que votre prise de position tardive n’en aura que plus d’impact. La retenue est une arme qui se révèle souvent efficace.
Il est vrai aussi que certains d’entre nous n’ont pas compris qu’une consultation de la profession des médecins vous était nécessaire pour que vous exprimiez enfin votre ressenti de la situation.
Quant à cette « grande consultation » que vous avez mise en ligne à cet effet, je vous avouerai que la relative complexité des questions qui y sont posées n’a pas auguré à mes yeux un grand optimisme. Je me souviens m’être fait la réflexion suivante : « Que va-t-il bien pouvoir sortir de ce chapeau qui puisse être opposé à la loi de santé ? »
Mais, Dieu merci ! Avant même le dépouillement de ce questionnaire, vous vous êtes exprimé et ce que vous avez dit a permis de dissiper bon nombre de nos inquiétudes.
- Je n’aime pas les grands discours. Ce sont des monologues consensuels, peuplés d’images d’Épinal, souvent rédigés ou retouchés par de petites mains. Ils ne révèlent que très peu de chose sur leur auteur.
Mais, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt et d’attention le texte qui est paru dans « le Qotidien » du 29 octobre et les réflexions que je fais ici sont issues de la lecture de cette interview que vous avez accordée à Henri de Saint Roman.
Votre déclaration aux allures de mini-verdict tombe à un moment très opportun et toute la profession ne peut que s’en féliciter.
Si c’est un hasard, il est heureux. Si c’est un calcul, il est subtil.
Dans tous les cas, ce que vous avez dit vous honore.
- L’analyse et le décryptage sont toujours des démarches utiles, souvent même nécessaires, qui permettent de déceler derrière les mots du langage, les pensées et l’état d’esprit de celui qui les a prononcés.
Et là, je peux dire que j’ai été assez séduit tout en demeurant, cela va de soi, prudent pour la suite car, on sait trop bien que parfois le propre des dires est d’être contredis par les faits qui leur succèdent, au même titre que les intentions n’ont pas toujours la chance d’être suivies d’action. Or, l’avenir sans action, n’est qu’un champ de bataille sans bataille, une morne plaine, qu’un jour l’ennemi va peut-être investir.
- En tous cas, maintenant on connaît mieux le début de l’histoire. Au premier congrès de l’Ordre, l’année passée, le président Hollande vous a baratiné (patati et patata, les médecins ont un rôle essentiel dans la société, ce sont de nobles samaritains, qui rendent tant des services à la population, ce n’est pas un métier qu’ils exercent, c’est une vocation, un sacerdoce, un apostolat…).
Mais dans le même temps sa ministre, tapie dans l’ombre, nous avait déjà concocté le fameux gâteau empoisonné, la « modernisation de la santé » – le coup classique du Rominet qui promet un excellent repas au bon Titi qui, s’il est naïf va se faire bouffer tout cru. En politique, c’est un cas d’école ; tandis que le supérieur vous caresse le dos, son subalterne, missionné par lui, vous prépare crocs en jambes, peaux de bananes et autres coups tordus. Vous êtes un homme de parole. Vous voilà mis en porte-à-faux. Il ne vous faut pas beaucoup de temps pour analyser la situation mais plus pour vous retourner ; vous avez été berné. Entre le politique et le médecin, il y a un ravin ou plutôt une faille, pas forcément large mais profonde.
- Vous dites : « Nous ne pensons pas à la place des syndicats. Chacun son rôle. L’Ordre doit se positionner sur des principes. » OK pour les syndicats. Chacun son job. Mais je ne vous imagine pas qu’en gardien des principes. En temps de paix, à la rigueur ! Mais quand le vent se met à souffler en rafales, il faut un capitaine sur le bateau. Et il n’y a aucune honte pour quiconque que vous soyez juché sur la dunette. Les officiers, qui sont excellents individuellement, n’auraient-ils pas une conduite plus unitaire s’ils avaient au-dessus d’eux un chef visionnaire. C’est souvent leurs rivalités qui les amènent à faire de la surenchère, et c’est ainsi qu’il leur arrive de se planter !
- Le TPG, vous êtes contre. Vous l’avez dit depuis 2013. « Pas d’intrusion des assureurs privés. » OK pour ces deux assertions mais l’avez-vous dit assez fort et assez tôt ? Avez-vous été écouté et craint par les politiques ? Il ne semble pas ! Car, avant même que le chef de gare ait fait retentir son sifflet pour le TPG (départ annoncé le 16 novembre), on a le vague sentiment que le train a déjà quitté le quai. Idem pour les mutuelles…
- Payeur unique : « l’assurance-maladie doit rester le payeur unique. » OK bien sûr également ! On est même un peu surpris que vous en parliez, comme si une autre éventualité avait été envisagée ! L’intervention des mutuelles peut-être ?
- « Et si tout cela nous était imposé, eh bien nous en appellerions à l’ensemble de la société. » Excellent, cela signifie, ai-je bien compris ? : « Si vous nous imposez par la force votre diktat, nous demanderons aux Français un référendum. »
- « Nous avions demandé un Grenelle. » Parfait ! Mais surtout si cela devait arriver, ne pas omettre alors d’en bien préciser le cadre, le contenu et surtout ce que l’on en attend. Et ce serait, bien entendu, les médecins et pas les politiques qui l’organiseraient car, c’est de leur profession dont il s’agit…
- « Le gouvernement gouverne et assume ses choix, il les assumera devant ses électeurs qui sont pour partie des médecins et des patients. » Ici encore excellent ! Et aussi juste que pertinent. Vous semblez dire : si le peuple découvre le pot aux roses (les choix du gouvernement en matière de santé), c’est avec celui-ci qu’il devra en découdre.
- Puis : « Ce n’est pas parce qu’une loi est votée qu’elle est applicable. » Souffle alors un vent de rébellion Ô combien justifié ! Donc, encore bravo.
- On vous demande ensuite ce que vous pensez des « 60 % d’abstention aux élections URPS ». Vous répondez qu’il faut chercher l’origine de ce taux dans le fait que les professionnels n’ont pas le sentiment d’être représentés, entendus, écoutés…
Vous extrapolez : « C’est ce qui se passe maintenant dans beaucoup d’élections ! » Et vous avez entièrement raison puisque de plus en plus d’électeurs de tous les scrutins confondus ont tendance aujourd’hui à être des abstentionnistes.
- Vous terminez par cette phrase magistrale, et là, votre formule est aussi forte qu’elle est criante de vérité. Elle semble en tout cas révéler le fond de votre pensée : « On ne fera jamais un système de santé contre les professionnels de santé et contre les usagers. On le fera avec eux. Il y a des limites à l’acceptabilité des décisions. Aujourd’hui ces limites sont atteintes dans le domaine de la santé et pas seulement pour les médecins. »
Ce qui pourrait se traduire dans un langage moins policé de la manière suivante :
« Depuis ces derniers mois, ce ne sont pas des couleuvres que vous voulez nous faire avaler mais des boas. Il y en a vraiment assez de vos diktats outranciers. Pour la santé, vous avez vraiment dépassé les bornes, les médecins n’en peuvent plus et de surcroît les patients pourraient en dire autant, si on les éclairait un peu mieux ».
Et à cet endroit de votre discours, je ne peux m’empêcher de m’exclamer : là vraiment, vous êtes notre chef. Car, si le fond du fond de votre pensée est celui-là, c’est que l’analyse que vous avez faite de la situation est des plus pertinentes.
- Mon débriefing est terminé.
- J’ajouterai que votre manière tardive mais extrêmement ferme d’avoir mis le pied à l’étrier, laisse présager, maintenant que vous êtes bien en selle, d’autres passes d’armes. Nous sommes sans doute assez proches de l’épilogue. Je me trompe peut-être mais je pense que vous ne nous décevrez plus et que vous continuerez à exprimer avec force et justesse le ressenti de toute la profession.
Ce que l’on retiendra de vous, lorsque cette histoire sera close, ce seront les deux ou trois interventions décisives que vous allez être amené à faire dans les semaines ou mois qui viennent.
- Il y a un dernier point dont je voudrais vous parler. Votre action de communication. Je ne parle pas de ce que vous avez mis en place ; la « campagne pour valoriser l’image du médecin » qui, du reste, semble une bonne initiative.
J’entends votre communication personnelle auprès des médias. J’ose espérer qu’elle ne fait que commencer.
Votre article est paru sur le QDM, revue que ne lisent que les professionnels. Il serait heureux que vos propos soient également perçus par les assurés sociaux sur des quotidiens nationaux.
Il n’est pas normal que seules des revues médicales s’intéressent à ce que vous dites. Il serait souhaitable que les médias vous approchent davantage.
Vous l’avez précisé avec justesse, vous êtes le président de tous les médecins, les libéraux et ceux de l’hôpital. Mais, vous devez des informations aux assurés, c’est-à-dire aux Français. Si leur médecine va changer, il est tout de même utile que vous, le « patron » des médecins, le leur expliquiez puisque le gouvernement omet de diffuser le message. Cela ne s’est peut-être encore pas fait dans le passé. Mais aujourd’hui, les moyens de communication étant ce qu’ils sont et la situation le justifiant amplement ; vous ne pouvez soustraire à cette démarche. Ce sera une première, et alors !
J’en ai terminé.
Monsieur le Président et cher confrère, je vous avais écrit en juin dernier une lettre que j’avais qualifiée de « peu amène » (parue dans « le Quotidien » du18 juin).
Au vu de vos déclarations récentes, j’en ai donc fait une autre qui est tout autre. Sachez en tout cas que de mon modeste poste d’observation de généraliste de province, je suis désormais convaincu que nous avons cessé d’accepter les flèches et les coups que le pouvoir nous inflige. Et si le futur reste à construire, j’ai beaucoup moins d’inquiétude aujourd’hui pour l’avenir de la profession et je suis persuadé que je suis loin d’être le seul dans ce cas.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de mes respectueuses et confraternelles salutations.
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