Après la médecine de ville, c'est l'hôpital public qui est concerné par le tour de vis sur les dépassements d'honoraires. Marisol Touraine annoncera prochainement les mesures qu'elle compte mettre en oeuvre pour y encadrer l'exercice libéral. La ministre de la Santé s'appuiera sur le rapport Laurent (1) qui lui a été remis vendredi 5 avril. Ce document d'une cinquantaine de pages lève (un peu) le voile sur l'ampleur des dépassements d'honoraires pratiqués à l'hôpital public.
Ce volume est modeste : seulement 71 millions d'euros en 2011 (2). C'est peu en regard des 2,4 milliards de dépassements enregistrés sur l'ensemble de l'activité libérale cette même année. Mais les dépassements de cette minorité peuvent « atteindre des montants très élevés » notait l'IGAS dans un document publié en 2007 (3). Le rapport Laurent et les travaux de l'IGAS fournissent quelques chiffres permettant d'appréhender l'ampleur de ce phénomène.
Moins de 2000 praticiens en secteur II, mais des effectifs en hausse
Selon les chiffres de la CNAMTS, 4581 praticiens hospitaliers exerçaient une activité libérale à l'hôpital en 2011, soit 10% des médecins hospitaliers éligibles au secteur privé. Ce contingent ne représente que 4% du total des médecins ayant une activité libérale (ville et hôpital). Et le volume d'honoraires correspondant pèse pour 1,8% de l'ensemble de la masse des honoraires perçus sur l'ensemble du secteur libéral.
Sur ces 4581 médecins, 1932 sont en secteur II, soit un peu plus de 40%. En 2004 (3), ils étaient 1601 à avoir fait ce choix sur une effectif de 4212 (soit 38%). La proportion de praticiens optant pour le secteur II est donc en sensible hausse. Ces médecins ont souvent une forte notoriété et leur activité libérale la plus importante se concentre sur la fin de carrière (dans le cas des CHU).
Des spécialités plus gourmandes, des régions plus prisées
L'activité libérale à l'hôpital public se concentre surtout dans la chirurgicale générale et orthopédique. Viennent ensuite l'obstétrique, l'ORL, l'ophtalmologie, la cardiologie et la radiologie. Les autres disciplines (médecine interne, neurologie, hépato-gastro-entérologie et dermato) sont concernées dans une moindre mesure.
L'IGAS relève par ailleurs (3) que ce mode d'exercice est concentré sur trois régions : Ile-de-France, Rhône-Alpes et PACA. Sur ce point, les hospitaliers du public ne se distinguent pas de leurs confrères de l'ensemble du secteur libéral (ville et hôpital).
Jusqu'à 60 000 euros de dépassement
En 2011, la moyenne des dépassements des praticiens hospitaliers en secteur II s'élevait à 35 773 euros par médecin, en sensible hausse par rapport à 2004 (34 261 euros). Cette moyenne cache de fortes disparités puisque les montants moyens relevés chez certains hospitaliers se montent à 60 000 euros quand il n'est que de 8 000 euros chez d'autres. À noter que ces sommes sont plafonnées par l'obligation pour les praticiens de limiter leur activité libérale à 20% de leur activité totale à l'hôpital. C'est ce qui explique l'écart avec l'ensemble des médecins en secteur II (y compris les non hospitaliers), dont les dépassements moyens sont de l'ordre de 71 000 euros (3).
Le rapport Laurent mentionne par ailleurs que les montants d'honoraires peuvent atteindre des niveaux élevés à l'hôpital. À l'AP-HP, une vingtaine de praticiens ont déclaré des montants d'honoraires supérieurs à 300 000 euros en 2011 dans le cadre de leur contrat d'activité libérale.
Des taux de dépassement élevés
Selon la CNAMTS, 1 131 praticiens exerçant une activité libérale à l’hôpital en secteur II ont des honoraires en dépassement de 100% ou moins. Cela représente 59% des 1 932 médecins en secteur II à l'hôpital. Cependant, les taux moyens de dépassements relevés à l'AP-HP sont parfois de plus de 250% peut-on lire dans le rapport Laurent. C'est notamment le cas pour « les actes de chirurgie, situation qui s’explique par la notoriété, le fort niveau de charges spécifiques ».
Dans une étude publiée en 2007 et portant sur 2004, l'IGAS indiquait que le taux de dépassement moyen était de 98,5% pour l'ensemble des disciplines. Les taux le plus élevés étaient observés en urologie (152%), neurologie (125%) et ophtalmologie (122%). L'IGAS (3) notait que le taux de dépassement d'honoraires des médecins exerçant en secteur II à l'hôpital public était en moyenne deux fois plus élevés que ceux de leurs confrères des établissements privés.
Le rapport Laurent souligne que « les abus, même s’ils sont peu nombreux et émanent d’une petite minorité, pervertissent le système, et il doit y être apporté un terme dans le but de préserver la pérennité du secteur libéral ».
À lire sur le sujet : ce que préconise le rapport Laurent.
Qui peut exercer en libéral à l'hôpital ?
Les praticiens hospitalo-universitaires (PUPH), les praticiens hospitaliers (PH) temps plein, les maîtres de conférence-praticiens hospitaliers (MCUPH), les assistants hospitalo-universitaires (AHU) et les chefs de cliniques (CCA). L’activité libérale est exercée principalement par des PH (77,1%) et pour 22,9% par des hospitalo-universitaires. Dans les CHU, la proportion est inversée : ce sont les PUPH qui exercent principalement cette activité (62% d’hospitalo-universitaire et 38% de PH).
Les règles à respecter ?
L'activité libérale s'exerce sous réserve du respect de trois conditions :
- que les praticiens exercent personnellement et à titre principal une activité de même nature dans le secteur public hospitalier,
- que le nombre de consultations et d’actes effectués au titre de l’activité libérale soit inférieur au nombre de ceux effectués personnellement au titre de l’activité publique,
- que la durée de l’activité libérale n’excède pas 20 % de la durée du service hospitalier hebdomadaire à laquelle sont astreints les praticiens.
Quelles charges pour le praticien ?
L'exercice de l'activité libérale suppose le paiement d'une redevance par le praticien titulaire du contrat. Cette redevance doit permettre de dédommager l'hôpital du prêt et de l'utilisation des locaux, des équipements et éventuellement de la participation du personnel. Elle est calculée en pourcentage des tarifs fixés pour le remboursement par les caisses de Sécurité sociale et varie selon la nature des actes et la catégorie l'établissement.
(1) Rapport Laurent : « L’activité libérale dans les établissements publics de santé »
(2) « L'hôpital » - IGAS 2012
(3) Les dépassements d'honoraires médicaux (avril 2007)
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