Comment mesurer la douleur d’un patient qui ne peut communiquer ? La société lilloise MDoloris propose un brassard qui, associé à une tablette ou un smartphone pour la lecture des courbes et scores, évalue la douleur des personnes dys-communicantes. L’objectif : permettre aux médecins d’ajuster les doses d’analgésiques de façon personnalisée et évolutive.
Le dispositif est l’aboutissement de plusieurs années de recherche. Depuis sa création en 2010, MDoloris s’intéresse en effet à la surveillance de l’activité parasympathique au bloc opératoire et développe des dispositifs de surveillance du stress. Ses technologies, non-invasives et indolores, font l’objet de plusieurs brevets européens, américains et japonais. Elle a récemment mis au point un moniteur pour le bloc capable d’évaluer la douleur ressentie par des patients sous anesthésie grâce à l’analgesic nociception index (ANI). Cet index s’appuie sur la variabilité de la fréquence cardiaque, reflet de l’activité du système nerveux autonome réagissant au stress physique comme psychologique. Mais sa mesure n’était pas fiable jusque-là en raison d’artéfacts à l’ECG qui empêchaient de lire correctement les mesures.
Pour développer son moniteur, MDoloris a ainsi mis au point un algorithme qui réduit le bruit du signal ECG. La version mobile du moniteur, sous forme de brassard, est actuellement en test dans une dizaine de centres dans le monde dans des services de soins palliatifs ou encore de gériatrie, avant sa commercialisation espérée en 2025.
Une échelle personnalisée
Actuellement, évaluer la douleur d’un patient se fait généralement grâce à des échelles d’auto-évaluation et, si le patient ne peut communiquer, des échelles d’hétéro-évaluation. Mais ces dernières, standardisées et non personnalisées, conviennent peu aux patients non communicants comme les personnes sédatées, dans le coma, les adultes et enfants autistes, les personnes démentes, etc. « Pour ces patients, si des scores tels que NeuroSENS - qui permet de surveiller la profondeur de l’anesthésie ou de la sédation grâce à des EEG - ou encore le Bispectral Score - qui mesure l’effet hypnotique des médicaments sédatifs - existaient, ils ne permettaient pas d’évaluer la douleur et l’inconfort », explique le Dr Serge Sirvain, chef de la filière gériatrie au CH Alès-Cévennes qui teste le brassard dans son service.
Les informations délivrées par le brassard permettent, par exemple, au Dr Sirvain et ses équipes d’ajuster les thérapies médicamenteuses et non-médicamenteuses (déplacer le patient ou lui parler). « Au bloc, les médecins ont pu constater qu’il était possible de diminuer les doses de morphiniques et, avec elles, les nausées et vomissements post-opératoires », détaille-t-il. « En gériatrie, pour la sédation terminale par exemple, nous mettons toujours une petite dose de morphine de principe, mais ce brassard nous permet de mieux la doser », poursuit le gériatre. Son équipe l’utilise aussi pour les patients dans le coma afin de vérifier s’ils sont douloureux ou inconfortables pendant les soins.
Changement de paradigme
Au fonctionnement simple, le brassard peut être adopté par toutes les équipes sans prérequis puisqu’il suffit de lire le score ANI, allant de 0 à 100. Le niveau d’analgésie adéquat se situe entre 50 et 70 ; plus il se rapproche de 100, plus le niveau de stress est bas et il est possible de réduire les médicaments ; à l’inverse, près de 0, le stress est élevé et des mesures peuvent être envisagées.
Mais pour le Dr Sirvain, la difficulté tient dans l’interprétation du score. « C’est une vraie décision d’équipe, il faut se mettre d’accord sur la marche à suivre en fonction du score du patient, à l’instant t et dans le temps. Un patient sédaté peut faire un mauvais rêve, et son score ANI en sera modifié, une action n’est pas toujours obligatoire. Nous avons désormais un outil qui mesure quelque chose à laquelle nous n’avions pas accès et il faut l’intégrer à nos pratiques et connaissances. » Pour le médecin, disposer de l’ANI a également questionné la pratique clinique des équipes : « Nous avions tendance à penser que les patients sédatés ne nous entendaient pas, mais nous avons vu qu’ils réagissaient aux voix, à la venue de leur famille ».
Le Dr Sirvain accueille le brassard avec enthousiasme, voyant en ce dernier le moyen d’améliorer non seulement les soins aux patients et de rassurer les familles, mais aussi de lever des doutes pour les soignants et de les « recentrer sur le soin ». Il note cependant que l’information de l’ANI peut provoquer une « hypervigilance anxieuse » de la part des soignants qui peuvent avoir tendance à focaliser sur le score. Enfin, l’utilisation d’un tel dispositif ouvre la porte à de nouveaux questionnements, non seulement quant à son interprétation au regard des échelles existantes, mais aussi pour les équipes soignantes qui disposent d’un nouvel élément de réflexion. « Il peut exister un décalage entre l’évaluation réalisée par l’ANI et l’évaluation clinique », interroge le Dr Sirvain.
À noter : la mesure des variations de la fréquence cardiaque, et donc le score ANI, risque d’être faussée chez les patients avec un trouble du rythme, prenant des médicaments type anticholinergiques, ou en phases atoniques avec une fréquence respiratoire basse.
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