L’Académie nationale de Pharmacie s’inquiète du « manque de rigueur » de l’expérimentation du cannabis thérapeutique. Très attendue de certaines associations de patients, cette expérimentation a été votée par l’Assemblée nationale il y a un an, reportée pour cause de Covid-19, et finalement autorisée par décret à débuter d'ici mars 2021. Mais sa mise en œuvre ne fait pas l'unanimité.
« Une procédure d’exception injustifiée »
L'Académie de pharmacie s'était déjà montrée critique vis-à-vis du concept de cannabis thérapeutique. Elle revient à la charge, en épinglant cette fois le cadre de l'expérimentation à venir.
Dans un communiqué publié le 24 novembre, les académiciens expriment en effet « les plus grandes réserves concernant les conditions de [sa] mise en œuvre par l’ANSM ».
Premier grief : « Le décret relatif à l’expérimentation de l’usage médical du cannabis instaure une procédure dérogatoire pour l’obtention de l’AMM qui contrevient sans raison aux exigences réglementaires, sécuritaires et éthiques en matière de médicament », avance l’instance.
Selon les académiciens, l’arrêté du 16 octobre qui fixe les spécifications des médicaments à base de cannabis dispenserait les spécialités testées de passer par un essai clinique randomisé en double insu « seul à même d’évaluer leur rapport bénéfice/risque ». De ce point de vue, cette expérimentation – qui vise moins, d’après l’ANSM, à estimer le rapport efficacité/sécurité du cannabis thérapeutique qu’à évaluer « le circuit de prescription et délivrance ainsi que l’adhésion des professionnels de santé et des patients » –, serait trop éloignée des processus qui mènent habituellement à une AMM et à l’évaluation du service médical rendu des médicaments par la HAS.
Des mélanges complexes aux concentrations imprécises
L’Académie exprime aussi des inquiétudes vis-à-vis des fleurs séchées de Cannabis sativa L et ses extraits utilisés dans l’expérimentation, du fait qu’ils ne constituent pas des produits purs mais des mélanges complexes, et ne peuvent pour le moment pas « garantir la qualité et la sécurité exigées pour un médicament ».
Pour que ces mélanges « de plus de 200 substances dont les quantités et les proportions varient en fonction des modalités de culture, de récolte et de conservation » puissent justement apporter un minimum de garanties, l’Académie suggère qu’il aurait fallu au moins fixer des concentrations cibles pour leurs principaux actifs : le THC et le CBD. Or, le décret qui fixe le cahier des charges des produits éligibles à l’expérimentation ne mentionne que des ratios de concentration « donnés uniquement à titre indicatif sous le libellé « concentrations supérieures à… » ou « inférieures à… », sans aucune limite supérieure au regard des effets indésirables des composants », déplore la société savante.
De la transparence requise
Dans cette situation, l’Académie de Pharmacie réclame au moins que l’évaluation et le suivi des produits contenant du cannabis utilisés lors de l’expérimentation soient transparents. L’instance demande en particulier des détails concernant l’analyse par l’ANSM des informations recueillies par les médecins prescripteurs et les pharmaciens. À ses yeux, les centres régionaux de pharmacovigilance et d’addictovigilance devraient par ailleurs être associés au recueil et à l’évaluation de ces données.
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